Y a-t-il une vertu de l'oubli ?
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VOCABULAIRE:
OUBLI: Fait qu'un souvenir ne soit pas rappelé ou ne puisse l'être.
Vertu:
Du latin virtus, « force d'âme », « qualités viriles », « mérite ou qualité ».
a) Principe agissant, qualité qui rend une chose propre à produire un certain effet (exemple : la vertu dormitive de
l'opium).
b) En morale, disposition réfléchie et volontaire à faire le bien.
c) Chez Machiavel (traduction de l'italien
virtù), clairvoyance et habileté du prince, génie politique.
d) Vertus cardinales : la sagesse, le courage, la
tempérance et la justice, que les morales antiques considèrent comme la condition de possibilité de la vie heureuse.
Introduction
La vertu comme aptitude permanente au bien et au bonheur, est également liée à la prudence (Aristote).
La vertu
envisagée comme force (virtû) au sens de Machiavel.
L'oubli est-il apte à conditionner le bonheur et le bien moral,
dans la fidélité, la promesse ou la gratitude ? N'est-il pas au contraire défaut, manquement éthique, bref, défaillance
face au temps ? Au delà de ces oppositions, ne faut-il pas considérer un juste usage de la mémoire ?
1- L'oubli comme faiblesse morale
a) Les vertus de mémoire :
• Il existe un devoir de mémoire dans la gratitude, la reconnaissance, la fidélité et la promesse qui sont des vertus
de mémoire.
L'oubli rompt un engagement implicite ou explicite qui lie les personnes dans des relations de
réciprocité.
L'oubli est défaut, faiblesse morale.
La force morale se définit comme résistance des sentiments et des
engagements face au temps.
Exemple : le père accueillant l'enfant prodigue dans les Evangiles.
• L'obligation intime de mémoire établit des continuités qui donnent sens au passé et éclairent le futur.
Importance
d'envisager les vertus dans la perspective temporelle : l'amitié et l'amour comme continuités existentielles.
• La fidélité à soi-même est la condition de la valeur morale, mais aussi de l'intégrité psychologique car le moi, loin
d'être donné dans l'instant, est composé d'une continuité temporelle, avec ses obscurités, ses fractures, ses
amnésies car « J'oublie que je possède, dans ma propre vie, mille modèles de mort, de néants quotidiens, une
quantité étonnante de lacunes, de suspens, d'intervalles inconnaissants, inconnus» (Paul Valéry dans Tel quel).
b) L'oubli cause d'absurdité existentielle.
L'oubli, qu'il soit lié à la frivolité, à l'égoïsme ou au cynisme, participe d'un
défaut de constance morale et de profondeur éthique.
Le présent est alors dimension de superficialité, voire
d'inauthenticité.
L'événement n'a alors que valeur d'immédiateté, sans rapport au futur ni au passé.
Or le sens exige
des continuités existentielles et historiques, donc un souci de mémoire.
Le sens des activités est lié à leur place
dans une évolution globale.
Louis XV à propos des colonies canadiennes : « Après moi le déluge ».
Exemple du
cynisme présent dans un individualisme indifférent à l'Histoire et au souci de mémoire : comme le dit Valéry : « L'idée
du passé ne prend un sens et ne constitue une valeur que pour l'homme qui se trouve en soi-même une passion
pour l'avenir » (Regards sur le monde actuel).
c) L'oubli comme négation culturelle.
La culture n'est pas juxtaposition d'oeuvres, mais le dialogue de leurs créateurs
à travers le temps.
La culture produit du nouveau dans un tissage de relations avec le passé : réfutations, reprises,
corrections, voire imitations le prolongent librement.
L'oubli oblige à la répétition et à d'inutiles efforts, à un «
bégaiement de l'Histoire » (V.
Jankélévitch).
II - Les vertus de l'oubli
Cependant, la mémoire peut être source d'anti-valeurs : la répétition, l'imitation stérile, voire la souffrance du passé
et l'impossibilité de vivre la nouveauté, le pur aujourd'hui, en sa fraîcheur absolue.
L'oubli n'est pas faiblesse, mais
force (virtù), qualité morale permettant de réaliser en nous l'excellence humaine, l'arétè des grecs.
a) Oublier pour se socialiser : le refoulement freudien.
Les contraintes de la socialisation obligent le sujet à refouler
les représentations interdites ou douloureuses dans l'inconscient.
L'oubli est donc la contrepartie d'une santé
psychique, certes précaire et sujette aux symptômes de la névrose.
b) Oublier pour être.
L'oubli permet à la personnalité lourde de son passé de le rejeter pour avancer dans sa pleine
innocence.
Le poids des traditions, des acceptations, des appartenances limitatives inscrites de l'extérieur par le
temps risquent de figer le devenir du moi.
c) Oublier pour retrouver l'innocence.
Les croyances dogmatiques s'opposent à l'invention : le doute cartésien
pratique un oubli méthodique pour rebâtir de nouveaux fondements métaphysiques.
L'innocence est alors non pas
l'ignorance, mais l'aptitude au nouveau : « La conscience à l'endroit, ratifiant le devenir et le mouvement...
est une
conscience qui dit oui » (Jankélévitch, Le Pur et l'Impur).
De même, l'habitude désamorce l'acte moral et le vide de
sa valeur, l'agent moral doit être neuf devant la sollicitation du bien.
« L'innocence est une force.
L'innocence, non
pas la niaiserie » dit encore Jankélévitch (Traité des vertus, III).
La valeur créatrice a besoin de « la première fois »,
bref de la force de l'origine, mais cette innocence doit être éclairée et avertie.
Informée par le passé, elle n'en subit.
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