Y a-t-il une servitude volontaire ?
Extrait du document
«
Introduction :
Obéir suppose une soumission à une autorité.
Plus exactement, on peut dire que l'obéissance consiste en ce
qu'on exécute des commandements par soumission à la seule autorité du chef qui commande au sein de l'Etat, ou à
sa propre règle dans le cadre de la morale : ce n'est pas le pouvoir de tous.
La liberté quant à elle peut se définir
comme l'absence d'obstacle d'une volonté.
La servitude est aussi une obéissance, mais non volontaire, obtenue par
la contrainte.
En ce sens, il semble que l'expression « servitude volontaire » n'ait pas de sens, qu'elle soit une
contradiction manifeste dans les termes : un oxymoron.
Et c'est bien la le cœur du problème.
De plus, on remarque que la question « y a-t-il une servitude volontaire ? » nous place dès lors au sein d'une
interrogation au carrefour du droit, de la morale et de la politique.
Nous envisagerons plus particulièrement la
question sous l'angle de la politique et du droit dans la mesure où de par ses implications, nous serons à même de
saisir les connexions avec les différents aspects de la question.
Ainsi, la tension du sujet réside bien dans le couple
servitude – volontaire et engage dès lors une certaine représentation de l'individu et du citoyen à travers ses
rapports avec l'autorité, c'est-à-dire plus généralement le pouvoir.
Autrement dit, la question est de savoir si
l'expression « servitude volontaire » a même un sens.
Le problème est donc l'inclusion conceptuelle de ces deux
termes, ce qui nous amènera à redéfinir et à retravailler nos définitions avec notamment celle de la liberté et de
l'obéissance.
La question de l'existence d'une servitude volontaire et de son rapport à la loi qu'elle soit juridique ou
morale, se pose dans la mesure où, de par les définitions que nous venons de produire, lier la liberté ou le volontaire
comme absence d'obstacle et l'obéissance comme soumission semble exacerber sinon une contradiction, au moins
une incohérence en tant qu'incapacité à appartenir à des champs communs.
Et c'est en effet dans le paradigme du
politique que se joue la question.
En effet, l'obéissance est obéissance au souverain législateur, producteur de la loi.
Or dans ce cas, la loi si pour exister doit être respectée et obéie, il n'en reste pas moins que l'accord de ma liberté
n'est pas absolument nécessaire.
Il y a effectivement des lois auxquelles j'obéis contraint et forcé, donc de manière
non libre.
En ce sens, il y aurait exclusion conceptuelle entre les deux termes donc une servitude volontaire.
Et cela
d'autant plus que certaines lois vont à l'encontre de ma liberté.
Cependant, il nous faudra voir si notre définition de
la liberté est bien adéquate, il n'est pas en effet impossible que la définition de la liberté comme absence d'obstacle
ne soit pas adéquate en raison de son incomplétude.
De même, quand on parle d'incohérence d'une servitude
volontaire, n'est-ce pas ne pas prendre au sérieux le ton ironique en apparence de cette expression rendue célèbre
par La Boétie dans son ouvrage De la servitude volontaire ? Mais surtout, établir cette incohérence n'est-ce pas
refuser de prendre au sérieux une critique du fondement du politique ?
En ce sens, il nous appartiendra de voir dans quelle mesure on peut ou non parler d'une incohérence d'une
servitude volontaire, ses implications et les limites mêmes que cela pose dans le jeu politique de la citoyenneté,
posant en creux par là même la question de la désobéissance civile.
Et c'est donc suivant ces trois moments que
nous entendons développer cette question.
I – Incohérence et exclusion conceptuelle d'une servitude volontaire
a) En effet, la question de liberté et de la politique, donc de la liaison de l'obéissance et de la liberté a été un
thème fortement développé du XVIIIème siècle et notamment sous la figure de Montesquieu dans le livre XI de De
l'esprit des lois.
A cette occasion, Montesquieu s'interroge sur les rapports entre constitution et liberté à travers la
question de la liberté politique donc du lien entre obéissance et liberté pouvant déterminer une servitude volontaire.
Etre libre politiquement, ce n'est pas faire ce que l'on veut.
La liberté dans la société civile est toujours limitée en
raison même de l'existence d'une pluralité de volontés et de libertés concurrentes.
En ce sens, « dans un Etat,
c'est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir,
et à n'être point contraint de faire ce que l'on ne doit pas vouloir ».
Il y a donc une distinction nécessaire entre
obéissance et contrainte, cette dernière plus directement en conflit avec la liberté bien qu'elle soit nécessaire dans
l'ordre social.
Ainsi, la liberté se définit comme le droit de faire tout ce que les lois permettent, il n'y a donc pas de
servitude volonaire.
En effet, si un citoyen pouvait faire ce qu'elles défendent, il n'y aurait plus alors de liberté,
parce que le autres auraient aussi ce pouvoir.
C'est par ailleurs en ce sens que Montesquieu dira qu'« il faut que,
par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.
» Ainsi, une constitution pourra être telle que personne ne
sera contraint de faire les choses auxquelles la loi ne l'oblige pas, ou de faire ce que la loi lui permet, il n'y a donc
pas de servitude et encore moins volontaire.
Et en ce sens, il n'y a pas lieu de voir une contradiction entre liberté et
obéissance : l'expression « servitude volontaire » n'a donc pas de sens, mieux, c'est une contradiction dans les
termes.
b) Et c'est sur ces bases là notamment que le mouvement contractualiste va prendre son essor comme on peut le
voir avec Rousseau.
Dans la 8ème lettre écrite sur la Montagne, en effet, on peut voir que la liberté consiste moins
à faire selon sa volonté qu'à n'être pas soumis à celle d'autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté
d'autrui à la nôtre.
Une volonté vraiment libre est celle à laquelle nul n'a droit d'opposer de la résistance ; dans la
liberté commune nul n'a droit de faire ce que la liberté d'un autre lui interdit, et la vraie liberté n'est jamais
destructive d'elle-même elle n'est donc pas un servage.
Ainsi la liberté sans la justice est une véritable
contradiction.
Il n'y donc pas de liberté sans lois, ni où quelqu'un est au dessus des lois, mais pas non plus
d'obéissance aveugle à la loi : dans l'état même de nature l'homme n'est libre qu'à la faveur de la loi naturelle (amour
de soi et pitié) qui commande à tous.
En ce sens, un peuple est libre, quelque forme qu'ait son gouvernement quand
dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la loi.
En un mot, la liberté suit toujours le sort
des lois, elle règne ou périt avec elles.
La liberté ne peut souffrir la servitude..
»
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