Y a-t-il une logique des passions ?
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«
Introduction
Il y a d'abord une équivocité du terme « passion ».
Elle désigne en premier lieu les phénomènes passifs de l'âme.
Un sujet est en ce sens affecté par
quelque chose.
Mais la passion a aussi un caractère actif et constitue une des forces vives du comportement humain.
En ce sens la passion envahit tout le
sujet.
Par ailleurs, on a longtemps présenté l'existence chez l'homme de plusieurs passions, à la différence d'une raison unique.
Mais devant la difficulté
d'unifier les passions, on en vient à parler de « la » passion.
Ainsi les affections de l'esprit sont nombreuses (cupidité de l'avare, jalousie de l'amoureux,
frénésie du joueur etc.), mais la passion est toujours présente sous ces déterminations affectives.
Devant la difficulté de rendre compte rationnellement des
multiples comportements humains ainsi que de leurs motifs, peut-on déterminer la manière dont la passion exprime sa spécificité ?
I.
La passion en tant qu'affection de l'âme.
a.
On retrouve ce sens ancien pour lequel la passion consiste à subir une action.
Et le fait de subir amoindrit en l'homme sa possibilité d'être maître de
lui-même.
D'où l'idée, que l'on retrouve déjà chez les Stoïciens, selon laquelle la passion est néfaste pour l'individu, dans la mesure où elle va à l'encontre
de la quête du bonheur, de la sérénité de l'âme.
Ainsi Epictète fera la distinction dans son Manuel (écrit par un de ses disciples, Arien) entre « ce qui dépend
de nous » et « ce qui ne dépend pas de nous ».
Et ce qui ne dépend pas de nous (la mort d'un proche, la maladie etc.) doit être mis à l'écart, et ce pour ne
pas perturber ou freiner l'homme qui est en quête de lui-même.
b.
La passion désigne aussi chez les cartésiens des états affectifs (plaisirs, douleurs, émotions) qui encombrent l'âme puisque celle-ci est étroitement
liée au corps.
Mais Descartes dira que ses affections « sont toujours bonnes de leur nature » puisqu'elles ont une
fonction naturelle qui est de « disposer l'âme à vouloir les choses que la nature nous dicte utiles et à persister en cette
volonté » (Traité des passions, art.
52).
Mais la passion ne sera vraiment exaltée qu'avec le romantisme, puisqu'elle
permet d'élever l'âme.
Le sage comme l'homme du quotidien sont tous deux également exposés aux passions.
Et vivre
avec ses passions peut mener à des actions.
c.
L'homme peut aussi réagir librement à partir de passions.
Ainsi passion et volonté sont étroitement liées.
Le
savant, par amour de la vérité, emploiera son temps à l'étude.
Cette passion est active, puisque volontaire.
Mais la
passion marque toujours une rupture de l'équilibre que l'on trouve dans le choix volontaire.
La passion reste toujours le
signe d'une dépendance, quelque soit les effets qu'elle apporte.
De plus, elle marque dans le temps une continuité, à la
différence du désir.
La passion ensorcelle le sujet : « Je me jetai dans l'amour où je désirais être pris » (St Augustin, Les
confessions, III, I).
St Augustin, pris d'une passion pour l'amour, recherche dans cet extrait un objet à son amour.
II.
Une liberté illusoire
a.
La passion influe largement sur l'imagination.
En effet, le sujet a un objet caractéristique de sa passion, et celui-ci,
voulant possédé l'objet (l'amour, le jeu, etc.), associe à cette possession d'objet des satisfactions infinies, et crée ainsi
une finalité illusoire : le joueur, par exemple, cherche-t-il l'argent, le plaisir ? « J'avais risqué ma vie et j'avais gagné.
De nouveau j'étais un homme » s'écrie le héros de Dostoïevski dans son délire (Le joueur, chap.
XVII).
Le joueur
cherche perpétuellement l'exaltation.
Et le passionné souvent se croit libre puisqu'il poursuit de toutes ses forces et de
toute son âme un objectif que nul ne lui a imposé.
Mais à la lumière de Spinoza, il est clair qu'un sujet autant affecté par
des objets ne peut être dit libre : « je dis que nous sommes passifs quand il se fait en nous quelque chose ou qu'il suit
de notre nature quelque chose, dont nous ne sommes la cause que partiellement » (Ethique, III).
b.
L'amour est signe d'une dépendance.
C'est Schopenhauer qui étayera l'idée selon laquelle la passion amoureuse, l'élection de tel ou tel individu est
loin d'être accessoire.
L'objet est aimé avant même d'être connu, c'est le paradoxe du coup de foudre.
Le choix
correspond à un but universel, à la procréation, car, selon Schopenhauer, « le type de l'espèce doit se perpétuer, aussi
pur et authentique que possible ».
Mais ici le sujet qui entraîne l'illusion a horreur du but qui seul le mène (la
procréation), et voudrait même faire obstacle à cette réalisation.
La vérité de la passion est donc la transcendance de
sa fin, une fin inconnue et infinie.
L'homme s'imagine « qu'il consacre tous ses efforts et tous ses sacrifices à son plaisir
personnel, alors que tout cela n'a lieu que pour conserver le type normal de l'espèce » (Schopenhauer, Métaphysique de
l'amour).
III.
Les mécanismes secrets de la passion
a.
La sublimation chez Freud correspond à un processus qui détourne l'énergie vitale vers des buts idéaux,
notamment esthétiques et mystiques.
Ainsi la passion trouverait sa source dans la force de la pulsion sexuelle.
La
pulsion est sublimée car elle dérive vers un but nouveau, non sexuel.
La passion amoureuse peut ainsi s'émanciper de
se source charnelle et se transformer en sentiment.
Mais ce processus n'est-t-il pas contre-nature ? Nietzsche dira que
l'Église combat la passion par des pratiques comme l'excision ; ainsi, elle castre le sujet, et ne tente pas de
spiritualiser, de diviniser un désir : « si ton œil entraîne ta chute, arrache-le » ( Évangile de Marc, 9, 47).
Pour Nietzsche,
« attaquer les passions à la racine, c'est attaquer la vie à la racine : la pratique de l'Église est hostile à la vie »
(Crépuscule des idoles).
b.
Même si la raison s'emploie souvent à dompter, à éradiquer la passion, il apparaît que la raison aussi se nourrit de
passions.
Ainsi, les hommes font l'histoire, selon Hegel, en poursuivant leurs intérêts et leurs passions.
Les hommes
sont ainsi les jouets inconscients de l'esprit qui les dépasse et qui suit son cours historique.
Car l'universel (esprit)
doit se réaliser par le particulier : « rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion » (Hegel, La Raison dans l'histoire).
Conclusion
Doit-on fuir ou accepter la passion ? Il apparaît que depuis longtemps cette question, due à une ignorance de la logique réelle de la passion, s'est posée.
Ainsi pour être maître de soi, ou pour atteindre une reconnaissance divine, certains s'emploient à supprimer la passion de leur vie.
Ils bannissent, au profit
d'un ordre plus haut, une logique propre de leur vie.
Mais la passion persiste et ne se laisse pas forcément reconnaître : le délire du joueur, l'amour
démesuré d'un homme, sont les symptômes de l'existence de forces qui agissent sans notre consentement.
L'homme est ainsi possédé par lui-même sans
le savoir.
Mais il semble aussi que la passion, par la sublimation, ou par ce qu'elle produit comme effet, permet la diversité du genre humain dans ses choix,
et ses tendances..
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