Y a t-il un langage idéal ?
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Face aux mécompréhensions qui peuvent naître du langage, face à l'imperfection de celui-ci, on peut être tenté de le rendre plus clair,
expurgé de ses trop nombreux homonymes, synonymes imparfaits, mots qui ne renvoient à aucune réalité dans le monde, des mots
vides de sens.
Mais, n'est-ce pas enlever au langage sa dimension existentielle pour en faire un appareillage technique seulement
capable de transmettre une information juste et sans reste ? Le langage n'est-il que cela ? Un langage idéal serait un langage pur coupé
de notre vie, et certainement sans contenu.
1)Un langage idéal dit-il encore quelque chose ?
Pour Umberto Eco dans La Recherche de la langue parfaite (1993), il faut étudier les projets fondateurs qui ont animé la quête d'une langue
idéale.
L'idée développée est que la langue universelle n'est pas une langue à part, langue originelle et utopique ou langue artificielle,
mais une langue idéalement constituée de toutes les langues.
Leibniz a été l'un des fondateurs de la recherche d'un langage universelle
pour rendre compte avec plus de rigueur de la réalité, il marquait les limites et l'imprécision du langage commun, en quête des conditions
de son dépassement.
Pour cette langue idéal peut être établie, elle servira à réduire à néant les controverses et à faire avancer la
science.
Mais cette idée d'une telle langue logique à laquelle s'intéresseront nombre de philosophes positivistes, risquera de se retourner
contre la philosophie, en se voulant trop précis et rigoureux, on se retrouve avec une langue vide de contenu.
Car le discours
philosophique.
De même pour Condillac, auteur d'une langue des calculs, il marque la priorité des signes sur la pensée proprement dite.
La science est pour lui une langue bien faite.
Les mathématiques peuvent transformer la pensée, c'est parce qu'elles sont un langage.
Mais en réduisant la pensée à un maniement d e signes, on abandonne la possibilité d'exprimer un sens.
Aussi, l'existence et la
possibilité d'un langage idéal ne sont certainement pas un but pour la pensée qui ne peut se réduire aux mathématiques.
Que reste-t-il à
exprimer si on épure le langage de ses difficultés, de ses mécompréhensions ?
2) Un langage idéal ne pourrait rien dire : la tentative de Wittgenstein.
Pour Wittgenstein, le seul langage pourvu de sens est donc celui qui produit une image du monde, c'est-à-dire dont la forme logique
reflète la structure des faits.
L'auteur postule, en effet, que tout fait est exprimable par une proposition obtenue en combinant des
liaisons de propositions « atomiques » (thèse de l'atomisme logique) et dont la valeur de vérité ne dépend que de celle de ses ultimes
composantes (thèse d'extensionnalité).
Cette forme logique joue le rôle d'un système universel de référence dont la « géométrie »
délimite nécessairement et a priori les structures d'un monde possible.
Ces contraintes, qui sont donc à la fois celles du langage pourvu
de sens (de la pensée) et du monde, sont manifestées par les tautologies du calcul des propositions.
Wittgenstein est l'inventeur d'une
présentation significative des liaisons propositionnelles au moyen de « tableaux de vérité ».
Le fait lui-même est défini comme
« existence d'états de choses » et un état de choses est une « combinaison d'objets » : l'objet, ou chose, n'apparaît donc pas dans le
Tractatus comme une entité concrète présente hic et nunc ; c'est le nœud de toutes les combinaisons virtuelles auxquelles il peut participer
pour constituer des états de choses.
Le fait était plongé dans l'« espace logique » déterminé par les tautologies ; la chose est, elle aussi,
plongée dans un espace logique qui délimite a priori et nécessairement les types d'états de choses dans lesquels elle peut entrer.
Mais
l'auteur du Tractatus ne développe qu'une logique des faits, le calcul propositionnel, et ne dit rien de cette logique des choses dont il
affirme pourtant l'existence.
Puisque tout discours pourvu de sens exprime des faits, on ne saurait concevoir de langage correct portant
sur les lois mêmes du langage : la logique ne peut que se montrer, non se dire.
De cette limitation intrinsèque du langage découle un
autre interdit : le sens global du monde et de ma situation dans le monde, n'étant pas de la nature d'un fait, échappe au discours correct.
Ainsi, l'éthique, l'esthétique, la métaphysique ne peuvent donner matière à une expression véritable ; et philosopher, c'est finalement
parvenir à reconnaître l'obligation du silence.
3) Le langage idéal ne sert pas à la vie courante.
Si l'on y regarde de près, la démarche initiale de Perelman a coïncidé avec le rejet du positivisme logique.
Cela équivaut en profondeur à
dénier à la logique et aux sciences empiriques le rôle d e modèle universel, dont la pensée philosophique devrait se nourrir pour
simplement survivre.
Ni la morale, ni le droit, ni même l'entièreté du raisonnement ne se trouvent recouverts par la logique.
Bien plus, il
est impossible en droit qu'elles le soient.
Intrinsèquement, la logique est la mise en relation codifiée de termes et de propositions
univoques.
Elle présuppose un langage idéal, où, tel un échiquier, chaque élément a sa place fixée d'avance avec des règles préétablies
et conventionnelles d'usage.
Il ne faut pas être un grand spécialiste du langage pour se rendre compte que l'usage réel du discours est d'une tout
autre nature.
Les termes en sont ambigus parce qu'ils doivent se plier à la diversité des situations.
Les propositions en subissent le contre- coup,
comme le langage en général.
Les règles sont floues, contextualisées, et l'équivocité se résout chaque fois dans la particularité des situations qui
opèrent ainsi comme des conditions de sélection et de restriction.
L'adaptation d'un langage qui a des possibilités finies, aux contextes en
nombre quasi infini exige une souplesse, une équivocité naturelle des mots que l'on pourrait penser être en contradiction avec toute
rationalité dans la langue.
Il en irait ainsi si raisonnement et logique formaient identité.
Or, ce que Perelman a bien montré, pour la
première fois, c'est que les raisonnements les plus fréquents s'enracinent non dans une logique construite et dématérialisée, mais dans la
fluidité et le vague des notions communes.
Celles-ci fonctionnent comme des présupposés partagés par les utilisateurs de la langue,
comme des évidences qui ne sont telles que parce qu'elles sont imprécises et floues.
L'accord des esprits naît de la compréhension de ce
que l'autre veut dire ; et, si celui-ci peut jouer sur le vague pour nous manipuler, il peut aussi s'efforcer de partir de ce à quoi le vague
nous fait penser pour nous faire accéder à une précision d'idées qui lui sont propres.
La rhétorique argumentative est le raisonnement par
lequel, de manière non formelle, une personne suscite l'accord au sein d'un auditoire.
Croire qu'il s'agit là d'une démarche erratique, sans
rationalité d'aucune sorte, n'obéissant qu'aux soucis du bon goût, de la bienséance et de la convention sociale, était un préjugé commun
à toute la tradition de pensée antérieure à Perelman.
Sa grande réussite a été de mettre en évidence les règles de la persuasion qui
gouvernent le rapport avec un auditoire quelconque.
Elles sont en nombre limité, et elles concernent toutes l'association et les
dissociations des notions au sein d'arguments.
Point n'est besoin de rentrer ici dans le détail de l'étude perelmanienne pour percevoir
l'ampleur des résultats.
La logique a si souvent été associée au raisonnement et à la rigueur que l'on comprend bien que, en assignant
aux raisonnements non logiques une existence, une dignité, Perelman a opéré un véritable renversement conceptuel.
Il ne s'agit
d'ailleurs pas seulement de langage, mais tout simplement de raison.
Bien davantage : l'élargissement dans la conception de la raison se
poursuit tant au niveau pratique et moral qu'à celui de la métaphysique traditionnelle, dont il ruine les fondements au profit de la
rhétorique humaniste.
Conclusion.
La recherche d'un langage idéal serait plutôt une poursuite théorique vouée à l'échec dans la pratique, mais souhaitable pour
l'avancement de la logique et du discours scientifique.
Aussi, il ne faut pax croire que la recherche d'un langage parfait doit être une fin en
soi pour les philosophes et les linguistes.
La vie restant le terrain du non-dit, de l'implicite, de l'ironie, de l'humour, de l'argot, de la
vulgarité, terrain qui ne peut être changé par un simple discours théorique mais par des évolutions sociales..
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