Y a-t-il un beau naturel ?
Extrait du document
«
VOCABULAIRE:
BEAU - BEAUTÉ (adj.
et n.
m.) 1.
— Norme permettant le jugement esthétique ; cf.
valeur.
2.
— Sens concret :
objet du jugement esthétique ; ce qui provoque une émotion esthétique par l'harmonie des formes, l'équilibre des
proportions.
3.
— (Par ext.) Ce qui suscite une idée de noblesse, de supériorité morale (un beau geste).
4.
— Pour
KANT, le jugement de goût ne détermine pas son objet en le pensant sous un concept universel, puisqu'il porte
toujours sur un cas particulier ; c'est un jugement réfléchissant dont l'universalité réside dans l'accord des sujets ;
c'est pourquoi le beau est défini comme « ce qui plaît universellement sans concept » ; « la beauté est la forme de
la finalité d'un objet en tant qu'elle est perçue en lui sans représentation d'une fin.
»
On pensera volontiers que la beauté est l'éclat dont l'artiste veut revêtir son oeuvre : il concentre à cette fin les
moyens d'une composition telle que l'unité qui s'en dégage soit irréductible, constante, admirable.
Mais s'il doit y
avoir du beau dans le monde, ne doit-il pas se trouver d'abord dans la nature ? Sans doute ne savons-nous pas
ordinairement voir le beau par nous-mêmes : mais que fait l'artiste, sinon révéler une beauté latente dans les
choses, en attente de notre regard ? L'art est donc une voie détournée pour restituer aux relations de l'homme et
de la nature leur complexité par-delà l'usage, la science et la technique.
Nous rencontrerons le beau naturel en un
triple sens : comme beauté de la nature, comme naturel de l'art, enfin, au-delà de l'ordre du monde et de l'ordre de
l'esprit, comme mystère de l'Être.
â–º La nature est source de beauté.
Les phénomènes naturels possèdent en eux-mêmes, pour peu qu'on s'attarde à les regarder, un charme propre à
émerveiller l'enfant comme le savant.
Les ailes du papillon, la transparence colorée des pierres fines, la gracilité ou la
puissance des formes animales, saisissent d'étonnement le spectateur le plus exigeant.
La minéralité suscite de
fulgurantes rêveries, et convaincrait presque que 1«( imagination n'est rien de plus qu'un prolongement de la matière
».
« J'admire dans la matière la moins sensible la présence de tracés sans nécessité et sans fantaisie, jamais pareils,
toujours parents, dérivant avec évidence d'un prototype abstrait, ébauchant des symétries approximatives et
inévitables.
Une docilité économe les gouverne avec douceur.
Négligence et paresse inaugurent d'incertaines
combinaisons, où perce un même chiffre avec une capricieuse régularité » (Caillois, Récurrences dérobées, Éd.
Hermann, p.
71 et 32).
Le travail du beau est déjà présent au niveau élémentaire, empreint d'ambivalences subtiles,
que l'esprit est trop prompt à s'attribuer, sans reconnaître que, même dans ses élaborations les plus sophistiquées, il
appartient encore à un courant de forces fondamentales.
Celui qui est en quête du beau admirera donc la nature.
Nul motif ne donne mieux « la simple joie d'être percevant »
que le « paysage ».
A vrai dire, même la contemplation rêveuse est ramenée promptement à l'idée qu'on a des
choses vues : on reconnaît les chemins, on estime la quantité de bois, etc.
Le citadin tout juste arrivé à la
campagne a-t-il un regard plus neuf ? Les descriptions de « pays » ont, jusqu'au XVIIIe siècle, rarement été
sensibles à la beauté des sites les plus appréciés ensuite par les Romantiques ; les montagnes étaient jugées «
affreuses ».
L'« esthétique » du paysage n'existerait pas sans « art » du paysage, qui est d'autant plus attrayant et
pédagogue qu'il cherche moins le pittoresque : « Dès que l'esprit ne se rebute point, il se forme, et apprend à voir
sans préjugés, car ceux qui ne savent point voir cherchent des spectacles rares et bientôt s'y ennuient ; au lieu
que celui qui a appris à voir finit par saisir la beauté partout.
Les vraies beautés de la nature doivent beaucoup aux
peintres » (Alain, Système des beaux-arts, VIII, 10).
L'art est ainsi exercice du regard, au sein duquel la nature peut apparaître, magnifiée en ses détails et révélée
comme totalité.
La peinture n'a fait d'abord apparaître la nature que de manière simplifiée (comme décor de scènes
quotidiennes, militaires ou fabuleuses, ou accompagnement symbolique de scènes religieuses) ; elle devient peu à
peu un motif de premier plan chez Patinir, Ruysdaël, Gainsborough, Turner, Monet.
Cette passion pour la nature
efface l'histoire, assigne l'homme à sa place de spectateur qui n'offre à voir que son dos (Rückenfigur ; cf.
l'Erdlebenbildkunst de C.
G.
Carus, Les visions d'atmosphère illimitée de C.
D.
Friedrich, son Voyageur au-dessus de
la mer de nuages, 1818: la singularité du point de vue n'a lieu d'être que pour mieux provoquer l'absorption
contemplative dans l'immensité).
En Extrême-Orient, on renonce à imposer son langage, en faveur de l'intention
artistique latente (chinois huayi) du moindre élément naturel, pierre, arbre, fleuve.
« On dit qu'un jour, devant le
Shôgun, ayant déployé sur le sol son rouleau de papier, [un peintre japonais] y répandit un pot de couleur bleue ;
puis, trempant les pattes d'un coq dans un pot de couleur rouge, il le fit courir sur sa peinture, où l'oiseau laissait
ses empreintes.
Et tous reconnurent les flots de la rivière Tatsouta, charriant des feuilles d'érable rougies par
l'automne.
Sorcellerie charmante, où la nature a l'air de travailler toute seule à reproduire la nature » (H.
Focillon,
Vie des formes, Éd.
PUF).
â–º L'art célèbre la puissance de l'esprit.
Cependant, les peintres occidentaux prétendent obéir au précepte artistique d'imitation.
Mais « quelle vanité que la
peinture qui attire l'admiration par la ressemblance des choses, dont on n'admire point les originaux ! » (Pascal,.
»
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