Y a-t-il quelque chose qui puisse valoir qu'on lui sacrifie sa vie ?
Extrait du document
«
[Introduction]
La vie humaine, du point de vue des principes moraux, est la valeur suprême.
Elle est la source de toutes les autres valeurs.
A-t-on le
droit d'admettre des exceptions qui légitiment le don volontaire de sa vie ? Quel idéal peut mériter qu'on lui offre sa vie ? Y-a-t-il un
usage légitime de la violence qui va jusqu'au sacrifice suprême ?
[I - L'homme en tant que valeur absolue peut-il devenir un moyen au service d'une fin ?]
La guerre : y-a-t-il des guerres justes ?
– Cf.
Machiavel : pour préserver l'État, il ne faut pas hésiter à utiliser la cruauté.
La politique est un
rapport de forces : morale et politique sont donc inconciliables.
La fin justifie les moyens.
Comprenons
bien que c'est au nom de la morale que Machiavel demande au politique d'exécuter sans trembler les
actions les plus cruelles.
Pour lui, un but conforme au bon droit justifie toujours les moyens
abominables.
Scipion, doux et compatissant, ne put empêcher en Espagne une révolte terrible de ses soldats.
En
n'usant que de moyens très moraux, il laissa couler en vain beaucoup de sang.
Au contraire, Annibal,
qui punissait de mort ses soldats à la moindre incartade, eut une armée puissante, disciplinée, « où
jamais ne s'éleva une seule discussion ».
Son « inhumaine cruauté » le rendait aux yeux de ses
soldats « vénérable » et en toutes circonstances préservait l'ordre.
Machiavel nous raconte aussi
comment Borgia eut l'habileté de confier l'administration de la Romagne à « Messire Remy d'Orque,
homme cruel et expéditif » qui, à force de violence, « remit le pays en tranquillité et union » mais
s'attira bien des haines sourdes par ses rigueurs.
Aussi Borgia n'hésita pas à le faire « un beau matin
à Cesena mettre en deux morceaux au milieu de la place avec un billot de bois et un couteau sanglant
près de lui ; la férocité de ce spectacle fit tout le peuple demeurer en même temps satisfait et stupide
».
Selon Machiavel tant de fourberie et d'atrocité n'était pas un prix excessif pour obtenir enfin la paix
publique.
Pour bien comprendre le principe de Machiavel, il faut voir que dans l'esprit de son auteur il s'applique
essentiellement à la politique.
La politique met en jeu des intérêts considérables et vitaux qui portent
sur des nations entières.
C'est en ce domaine qu'aujourd'hui encore se rencontrent les cas de
conscience où les principes machiavéliques semblent à certains justifiés.
La guerre défensive par
exemple prétend sauvegarder une nation injustement attaquée, par des moyens sanglants.
C'est ainsi
que l'explosion de la bombe atomique à Hiroshima coûta la vie à plusieurs centaines de milliers de
Japonais mais mit fin à une guerre — guerre voulue par l'impérialisme agressif de la caste militaire du Japon qui, sans cela, eût continué
des mois encore et sans doute fait de plus nombreuses victimes.
Que penser de ces policiers qui torturent un terroriste qu'ils viennent
d'arrêter ? Dans quelques heures une dizaine de bombes vont éclater qui tueront ou blesseront plusieurs innocents.
Les policiers veulent
savoir où ces bombes ont été posées afin de les désamorcer.
Ils s'estiment donc justifiés de chercher à obtenir — par tous les moyens —
les aveux circonstanciés du terroriste.
Si la morale relève d'une sorte d'arithmétique, si elle repose sur une comptabilité du bien et du mal,
si elle est une technique du bonheur, la formule machiavélique est justifiée et l'agent moral acceptera de commettre un moindre mal pour
obtenir un plus grand bien.
– Cf.
Marx : la force est nécessaire pour parvenir plus vite à la société sans classes.
Cette violence est soumise à des conditions objectives
: une révolution n'est utile que « si la vieille société contient les germes de la société future ».
La violence politique de Machiavel ou la violence révolutionnaire de Marx peuvent aller jusqu'au sacrifice de vies humaines.
Peut-on
moralement accepter ces sacrifices ?
[II - L'homme ne doit jamais devenir un moyen au service d'une fin]
Machiavel et Marx voulaient, pour l'un, une société plus sûre, pour l'autre, un plus grand bonheur pour l'humanité.
Mais il est moralement
impossible de légitimer leur attitude qui implique le sacrifice de vies humaines car :
– cf.
Rousseau : « Rien ne mérite d'être acheté au prix du sang » ;
– cf Kant et les impératifs catégoriques : l'homme possède une dignité, une valeur intérieure absolue.
L'homme n'a pas de prix.
Il est une PERSONNE.
La personne est ce qui se distingue de la chose,
comme la fin se distingue des moyens.
Tout être dont l'existence ne dépend pas de la libre volonté,
mais de la nature, n'a qu'une valeur relative, c'est-à-dire en rapport avec autre chose que lui-même.
Les êtres naturels sont des choses.
Les êtres raisonnables, c'est-à-dire capables d'agissements libres,
sont des personnes, c'est-à-dire des fins en soi.
Ils ne peuvent servir simplement comme moyens, et
par suite limitent notre libre activité, puisqu'ils sont l'objet d'un inconditionnel respect.
La personne est
une fin objective, dont l'existence même est une fin en soi, qui ne peut être remplacée par aucune
autre.
Étant fin en soi, on lui doit un absolu respect.
La personne humaine est la seule valeur absolue
existante, il n'y en a pas d'autres sur le plan pratique.
L'impératif catégorique pour toute volonté
humaine repose donc sur le principe que : "La nature raisonnable existe comme fin en soi." C'est ainsi
que nous devons nous représenter notre propre
existence ainsi que celle d'autrui, et ce principe doit sous-tendre toutes nos actions.
La moralité, soit
l'usage de la raison dans le domaine pratique, repose par conséquent sur la maxime suivante : "Agis
de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout
autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen."
[III – Le sacrifice individuel]
– Cf Gandhi : l'action non violente n'est pas une résignation passive mais une attitude combative :
c'est la force d'âme qui maintient le monde en vie.
Cette force d'âme va jusqu'au sacrifice de la vie
individuelle, qui n'est pas atteinte à la valeur humaine mais au contraire la reconnaissance absolue de
celle-ci.
– Le sacrifice de soi, individuellement consenti, en pleine conscience, est digne de respect, même si le sang versé reste moralement
condamnable..
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