Y a t-il des ignorances coupables ?
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L'homme, en tant qu'être doté de raison, a la capacité de former des jugements, des idées, qui, lorsqu'elles sont en adéquation avec leur
objet, lui apportent une connaissance : le désir de connaissance relève du désir d'atteindre la vérité.
La culpabilité se définit comme le fait
d'être en faute, d'avoir enfreint une règle ou une loi : elle ne relève donc pas d'un manquement dans la recherche de la vérité, mais dans
la recherche du bien ou dans le respect des lois et de la morale.
On voit alors comment le fait de mentir, qui implique de tromper autrui,
peut entrer dans ce registre de la culpabilité.
Mais qu'en est-il de l'ignorance, qui est une simple absence de connaissance sur un sujet ?
Se demander si une ignorance peut entraîner une culpabilité revient à se demander si certaines connaissances ne relèvent pas seulement
d'un désir de vérité, mais d'un devoir de l'homme, d'une responsabilité, le manquement à ce devoir équivalant à une faute.
Nous verrons
tout d'abord que l'ignorance ne peut être qualifiée de coupable dans la mesure où le domaine de la connaissance et celui de la morale
sont des domaines séparés.
Nous envisagerons ensuite l'ignorance comme facteur aggravant de fautes commises envers autrui, avant de
se demander si l'ignorance ne peut être en elle-même un manquement à ce que l'homme se doit à lui-même.
1° On ne peut être coupable d'une ignorance, car la morale ne peut s'appuyer sur la connaissance et sur la certitude de la vérité.
Selon Hume, notre connaissance des choses repose sur des principes d'associations entre les idées,
fondées sur la conjonction et la répétition des faits dont nous faisons l'expérience.
La connaissance est
donc basée sur la coutume, et ne peut être fondée sur une objectivité qui serait présente dans le monde
extérieur.
Dans cette perspective, dite de « scepticisme tempérée », ce que l'homme doit faire ne peut
pas découler et relever d'une connaissance cherchant à atteindre le vrai.
En ce sens, l'ignorance ne peut
être une faute morale : nous ne pouvons être coupables que de manquer aux règles de justice, qui sont
artificielles et issues d'une convention, non d'ignorer la vérité.
Hume: Expérience et Causalité
1.
La notion d'expérience : impressions et idées
Pour Hume, sont données à l'esprit d'abord des impressions, à savoir des perceptions vives, et en
second lieu les idées qui en sont les copies affaiblies (Traité de la nature humaine).
Au point de départ
de sa philosophie, nous rencontrons donc, non seulement des données élémentaires, mais encore des
données qui ne s e distinguent q u e par la manière dont nous en faisons l'expérience.
Il n'y a pas
d'extériorité, celle des choses* dont nous instruisent les sens, ni d'intériorité, celle de l'esprit quand il
réfléchit sur lui-même : il n'y a que l'expérience et ses critères, la vivacité ou la faiblesse du senti.
2.
La critique de la causalité : la raison comme habitude
Toute la pensée relève alors des relations entre ces données et de la manière dont nous les éprouvons.
C'est dire qu'il n'y a aucune relation, si ce n'est celles que l'esprit établit.
Ainsi, l'idée de causalité, qui
signifie qu'il y a une connexion nécessaire entre deux choses, la cause et l'effet, n'est pas perçue dans
les choses m ê m e s , mais vient de ce que l'esprit prend l'habitude d e les lier (Enquête sur l'entendement humain).
C'est u n e simple
tendance de l'esprit, une association spontanée entre ses idées, qui nous fait croire à une causalité que nous n'observons jamais.
2° Cependant, l'ignorance n'est pas seulement l'ignorance de la vérité : elle peut aussi être ignorance des lois et du bien, et entraîne alors
des fautes dont l'homme est jugé coupable.
Il y a bien un lien entre connaissance et morale si l'on pense que la connaissance est ce qui nous permet de choisir et de diriger nos
actions.
-Du point de vue de la perspective juridique, nous sommes tenus de connaître la loi.
En cas de manquement à la loi, l'ignorance de cette
loi ne peut être tenue comme une circonstance atténuante, car cette connaissance relève des devoirs du citoyen.
-Aristote distingue agir dans l'ignorance et agir par ignorance : si l'on nuit à autrui dans l'ignorance des
circonstances, par ex e m pl e en blessant s o n fils parce qu'on l'a pris pour un ennemi, l'acte est
involontaire et l'ignorance n'est donc pas coupable.
A l'inverse, agir par ignorance signifie agir par
ignorance de la droite règle, c'est-à-dire par l'ignorance du bien qu'il est de notre devoir d'accomplir : il
s'agit alors d'un acte volontaire.
Celui qui est injuste parce qu'il ignore ce qui est juste est responsable et
coupable d e ses actes : son ignorance découle en effet d e son habitude d e s e conduire d e manière
injuste, qui lui fait produire de mauvais jugements sur le bien et le mal.
3° L'ignorance comme manquement à notre essence : l'ignorant est coupable envers lui-même.
Il ne s'agit plus ici de penser que l'ignorance serait une faute parce qu'elle nous conduit à des actions
répréhensibles, mais que l'ignorance elle-même est une faute, un manquement à ce q u e nous nous
devons en tant qu'êtres doués de raison.
L'homme ne doit pas seulement connaître pour bien agir, mais
la connaissance a une valeur en elle-même.
Dans la perspective platonicienne, le propre d e l ' h o m m e
n'est pas le corps et la recherche des biens terrestres, mais l'âme et la recherche de la vérité.
C'est par
la connaissance des idées suprasensibles que l'homme peut atteindre la sagesse.
L'ignorant est celui
qui ne prend pas soin de son âme.
Il se rend coupable envers lui-même en ne s'occupant pas à ce à
quoi il est destiné, et se fait donc du tort à lui-même, en choisissant de vivre une vie qui n'est pas digne
d e son essence.
C'est pourquoi le philosophe, qui a atteint la sagesse, a pour devoir d'éduquer les
autres hommes.
Conclusion
Il semble à première vue difficile de faire relever l'ignorance d'une faute entraînant la culpabilité, car le domaine de la connaissance et le
domaine de la morale sont deux domaines séparés : si la morale ne s'appuie pas sur des connaissances que nous devrions posséder,
l'ignorance ne peut être considérée c o m m e u n e faute.
Cependant, il semble impossible de fonder des règles d e vie commune et des
règles de justice si l'homme n'est pas tenu pour responsable de la connaissance de ces règles à respecter.
La connaissance des règles
morales peut alors apparaître comme un devoir du citoyen.
On peut alors penser que la connaissance en général, en tant que destination
de l'âme humaine, peut apparaître comme ce que l'homme se doit à lui-même, l'ignorance étant alors coupable par le tort que l'ignorant
fait à son essence, en ne pouvant diriger ses actions selon la raison..
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