Y a-t-il de l'intolérable pour un esprit tolérant ?
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«
[Introduction]
L'esprit tolérant (cf.
le langage courant) est unanimement admis comme vertueux.
Mais en venir, par principe, à tout
tolérer, n'est-ce pas renoncer à distinguer le mal du bien, et donc adopter une posture amorale La tolérance sans
limite ne serait-elle pas synonyme d'indifférence passive ?
[I.
Les fondements de la tolérance]
- La tolérance n'est sans doute pas spontanée.
Les impulsions premières poussent plutôt à se méfier de ce qui est
autre, et, si l'on admet l'existence d'une agressivité fondamentale (cf.
Freud), la réaction première de l'être humain
serait de défense (d'un territoire, d'une opinion) ou de lutte contre ce qui, dans l'autre, apparaît comme menaçant
l'intégrité.
- On confirmera par des exemples historiques d'intolérance (religieuse, politique, artistique).
La philosophie ellemême, dans l'Antiquité (cf.
le traitement réservé au « barbare »), n'est pas un modèle d'ouverture aux pensées et
aux individus autres.
- L'idée de tolérance est donc tardive.
L'égalité de tous les hommes affirmée par le christianisme est très longtemps
demeurée strictement théorique (ou « abstraite »).
Rappeler Montaigne (« Des Cannibales ») et les luttes pour la
tolérance au XVIII siècle.
[II.
Les difficultés du relativisme intégral]
- Dans la pensée moderne, la tolérance se définit comme devoir de respect envers l'autre (ce qui est plus que la
simple faculté de supporter ses différences partielles).
Et cet autre est bien, radicalement, un non-moi.
D'où
l'affirmation, après sa revendication, d'un « droit à la différence », et la redéfinition de l'humanité comme constituée
d'écarts.
- Question : cela oblige-t-il désormais à tout (attitude, institution, opinion) tolérer ? Exemple : dans le domaine
politique, une mentalité tolérante (= démocratique) ne risque-t-elle pas de se condamner à disparaître, si elle tolère
les opinions et les actes qui la contestent au point de vouloir la détruire ?
- L'intolérance ne peut en effet que se fortifier quand elle ne connaît pas d'obstacle.
D'où la nécessité de n'en
admettre que des formes « faibles », capables de s'insérer dans un débat, compatibles avec un principe de libre
expression régissant l'ensemble du social.
- Rappeler que le contrat social prévoit l'expulsion de celui qui, sous prétexte d'imposer sa volonté aux autres, rompt
le pacte fondamental.
[III.
Les atteintes à la personne]
- La tolérance suppose la réciprocité.
En l'absence de celle-ci, l'intolérable apparaît, même pour l'esprit tolérant
(camps d'extermination, génocides, torture...).
La tolérance ne peut être synonyme d'un relativisme absolu des
valeurs, qui supprime toute exigence éthique.
- Un tel relativisme est de plus contradictoire (suicidaire) : sous prétexte de tout admettre, il ne peut contester ce
qui chercherait à le détruire.
- Le relativisme culturel affirme que les comportements s'enracinent dans des cultures (histoires et justifications
idéologiques) différentes.
Cela ne signifie pas que tout est justifié.
Doivent demeurer intolérables les pratiques (de
quelque culture qu'elles soient) qui mettent en cause l'intégrité de la personne humaine.
La tolérance se veut du
côté de la raison et de l'universalité, et la culture (au sens local) n'est pas toujours du même côté : l'histoire
abonde en rationalisations a posteriori qui ne font que masquer l'exploitation, la domination d'une catégorie (sociale
ou sexuelle) sur une autre.
L'analyse marxiste ci-dessous pourra vous aider à développer cette idée.
En 1845, Marx écrit les « Thèses sur Feuerbach ».
La onzième précise que « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter
diversement le monde, ce qui importe, c'est de le transformer ».
Contrairement à ce que prétend une interprétation
courante, il ne s'agit pas pour Marx de répudier la philosophie et le travail de réflexion, mais de le redéfinir, et de lui
donner une nouvelle place, une nouvelle tâche.
Marx ne récuse pas la pensée, mais sa transformation en idéologie,
son éloignement de la pratique.
La onzième thèse clôt la série de note rédigées par Marx en 1845 qui constitueront le point de départ de la
rédaction, avec la collaboration d'Engels, de l' « Idéologie allemande » (1846).
Ces thèses, qui ne sont pas
initialement destinées à la publication, paraîtront après la mort de Marx à l'initiative de Engels, qui les présente
comme un document d'une valeur inappréciable puisque s'y trouve « déposé le germe génial de la nouvelle
conception du mode ».
Etape décisive dans la maturation de la pensée de Marx, cet ensemble d'aphorismes, en dépit de son apparente
limpidité, ne peut être compris indépendamment de ce qui précède et de ce qui suit le moment de sa rédaction.
Nul
texte, en ce sens, ne se prête davantage au commentaire, alors même, paradoxalement, que cette onzième thèse
semble dénier toute légitimité à l'activité d'interpréter.
Formé à l'école de la philosophie allemande, lecteur de Hegel avant de devenir émule de Feuerbach (qui est un «
matérialiste » au sens des Lumières), Marx construit sa propre compréhension du monde en « réglant ses comptes
avec sa conception philosophique antérieure ».
Le terme de « philosophie » désigne ici la représentation théorique dominante à son époque, qui fait de la
transformation des idées la condition nécessaire et suffisante de la transformation du monde.
(Ce qui constitue une
vision « idéaliste » de l'histoire et des rapports de la théorie à la pratique.)
Brocardant ceux qui possèdent « la croyance en la domination des idées », Marx leur oppose l'affirmation que « les.
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