Y a-t-il de la finalité dans la nature ?
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«
Y a-t-il de la finalité dans la nature ? Quelle est l'importance philosophique de ce problème ?
INTRODUCTION.
— La science moderne est fondée sur le déterminisme absolu : tout ce qui arrive est considéré, au moins à titre d'hypothèse, comme
prédéterminé par ses causes.
Le principe de causalité a donc une valeur absolue.
P ar contre, le princ ipe de finalité, qui c ependant n'est pas moins ancré dans l'esprit de l'homme, a été rejeté par Descartes comme insuffisant à donner à
l'esprit une explication rationnelle des choses : il n'y a d'explication que par les causes efficientes, et tous les faits se réduisent à des faits de c ausalité.
N'y a-t-il donc pas de finalité dans la nature ? c'est la question à laquelle nous allons tâcher de répondre en montrant son importance philosophique.
I.
Y a-t-il de la, finalité dans la nature ? Y voyons-nous des fins auxquelles des moyens seraient adaptés ?
A .
P renons d'abord le terme de « nature » dans toute son extension, en y englobant l'homme lui-même :
a) O n ne saurait le nier, dans ce cas il y a apparemment de la finalité dans le monde, au moins dans l'ac tivité humaine : si je travaille à cette dissertation,
c'est parce qu'elle sera sanctionnée par des notes, parce qu'elle prépare à l'examen; ou plutôt pour obtenir une bonne note, pour être reçu à l'examen.
La
vue du but est la cause de l'action.
b) Sans doute, on pourrait se demander si cette finalité n'est pas simplement apparente : d'abord, parce que la finalité se réduit à la causalité efficiente de
l'idée; ensuite et surtout parce que, s i l'on admet (comme le savant est naturellement porté à l'admettre, au moins comme hypothèse de travail) que les
phénomènes de la pensée se ramènent au fond à des mouvements matériels, la causalité soi-disant finale de l'idée n'est en réalité qu'un cas de la causalité
efficiente de la matière.
Mais il est tout à fait inintelligible que de modifications matérielles résulte l'épiphénomène de la pensée.
Par suite, nous ne sommes
nullement fondés à récuser le témoignage de notre conscience et de notre expérience, et à rejeter la finalité chez l'homme.
B.
Maintenant opposons la nature à la pensée, ainsi qu'on le fait souvent, et voyons s'il y a de la finalité chez les êtres qui ne pensent pas» ou qui, du moins,
n'ont pas de pensée consciente.
a) Tout d'abord, l'expérience nous oblige à rejeter la finalité externe, c'est-à-dire la coordination de c ertains êtres au bien d'autres êtres qui leur sont
extérieurs.
La lune n'a pas été faite pour éclairer l'homme pendant la nuit, mais il est des nuits éclairées par la lune, et l'homme en profite (par exemple
pendant la guerre, pour des bombardements noc turnes).
b) Nous restreignons donc notre examen à l'existence d'une finalité interne consistant dans l'adaptation, au sein du même individu, des parties au bien du
tout.
1.
Il ne semble pas que nous devions chercher à voir de la finalité dans la matière brute.
Sans doute, la régularité des mouvements des corps célestes a
provoqué l'admiration de grands esprits comme Kant; la s ymétrie des cristaux émerveille celui qui les observe pour la première fois.
Sans doute, les
trajectoires de ces astres, les formes de ces cristaux, réalisent des figures régulières dont on peut donner la définition ou
la formule.
M a i s c e s êtres sont rigoureusement régis par des lois physiques; ils n'ont aucune initiative dans leurs
mouvements; la causalité seule les explique ou les expliquera.
2.
Faut-il voir de la finalité dans les Êtres vivants ? T out d'abord, nous devons bien le reconnaître, il est des animaux
supérieurs dont le comportement nous impose l'idée que, eux auss i, comme nous, sont dirigés, dans une grande partie de
leur activité, par la représentation d'un but à atteindre : de cette finalité consistant dans la réalisation d'un but qu'on se
représente, il faudrait répéter ce qui a été dit de la finalité observée dans l'activité humaine.
M ais c'es t l'organis me de l'être vivant, l'évolution de cet organisme dans l'individu et dans l'espèce qui intrigue le plus le
savant et fait difficulté.
A pparemment, les divers organes sont adaptés au besoin général du corps : les griffes semblent
faites pour saisir la nourriture, les dents pour la broyer, etc.
A pparemment, la nature tend à réaliser certains types d'êtres
vivants et, à travers ses tâtonnements, ne peut s'empêcher de deviner la tendance à un but.
M ais ici la difficulté est grande.
Sans doute, tout se passe comme si une idée directric e présidait à l'évolution de l'individu
et à l'évolution des espèces.
Mais où est cette idée ? A cette question nous ne pouvons donner une réponse satisfaisante.
N o u s conclurons donc qu'en dehors de notre conscience, nous ne percevons pas de finalité proprement dite.
N o u s
percevons seulement des faits inintelligibles autrement que par l'intervention d'une « idée direc trice ».
M ais, par ailleurs,
la nature et l'action de cette idée direc trice reste elle-même mystérieuse et incompréhensible.
II.
L'importance philosophique de ce problème a déjà dû apparaître 3 au cours des discussions sur l'existence de la finalité
dans la nature.
A .
S'il n'y a pas de finalité, si tous les phénomènes de ce monde s'expliquent par les lois physico-chimiques, c'en est fait du spiritualisme el tout se réduit à
la matière brute.
Sans doute, le savant peut bien, à la suite de Descartes , se refus er à admettre la finalité dans les organismes et cependant prétendre ne
pas nier l'existenc e d'une âme pensante.
E n fait, une fois qu'on a admis que les phénomènes de la vie animale se
ramènent à des mouvements matériels, on aura vite fait de donner la même explication pour les faits de la psychologie
humaine.
La théorie des animaux-machines, par laquelle Descartes prétendait sauvegarder et défendre la spiritualité de
l'âme humaine, a été au contraire le premier pas vers le matérialisme.
La cinquième partie du "Discours de la M éthode" expose la physique cartésienne, forme résumée du T raité du monde ;
c'est une déduction rationnelle des principales lois de la nature à partir d'un chaos initial fictif.
« Démontrant les effets par
l e s c a u s e s » (V ), il s'appuie sur le principe mécaniste d'une nature explicable par figure et mouvement, et fait ainsi
l'économie du recours à la notion d'âme (il développe l'exemple d e s e s travaux sur les fonctions cardiaques).
C 'est
particulièrement dans l'étude du vivant qu'un tel geste se trouve mis en relief.
De là, le modèle de la machine ou de
l'automate pour penser le corps animal et ses divers mouvements, l'image technique ayant pour vocation de souligner ici
l'approche mécanis te du monde naturel.
M ais, là où l'animal peut s'y réduire complètement (car il est tout matière), on doit
reconnaître en l'homme, et en l'homme seulement, une composition de deux substances : machine jusqu'à un certain point
(le corps), ce qui le caractérise en propre reste l'exercice de la pensée qui, elle, est immatérielle.
P arler avec à propos est
le signe extérieur d'une telle spécificité.
B.
Si, au c ontraire, il y a de la finalité, non seulement dans l'être doué d'une pensée consciente et réfléchie, mais dans des
êtres qui ne parais sent nullement penser, c'es t peut-être que la dualité esprit-matière qui nous est familière, surtout
depuis Descartes, n'est pas aussi nette que le croient le s ens commun et la philosophie classique.
CONCLUSION.
— On comprend ainsi la grande bataille qui se livre de nos jours à propos de la notion de finalité en biologie.
C e problème n'est pas un problème strictement biologique; sa solution intéresse au plus haut point le philosophe, car elle est capable, en modifiant la
conception du' monde, de rénover toute la philos ophie..
»
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