Y a-t-il compatibilité entre liberté et déterminisme ?
Extrait du document
«
Lorsqu'on pense à la liberté, une antithèse surgit aussitôt dans l'esprit : on lui oppose spontanément le déterminisme
naturel, c'est-à-dire l'idée d'un ordre immanent aux choses et qui les régisse de telle sorte qu'elles ne puissent être
autrement qu'elles ne sont, en vertu des lois de la nature et des conditions qui les déterminent nécessairement.
Loi générale du monde, le déterminisme pourrait être la négation de la liberté spirituelle : il suffirait qu'il s'élève des
profondeurs de la matière pour s'imposer à la vie puis à l'esprit et soumettre ainsi l'homme à son empire.
Il n'en est rien
cependant et une réflexion plus attentive nous montre comment la liberté humaine parvient à se maintenir.
a) Indéterminisme et liberté.
Pour sauvegarder la liberté on invoque parfois la crise subie par le principe du déterminisme dans la science
contemporaine.
La microphysique a révélé, semble-t-il que les phénomènes à l'échelle microscopique n'étaient ni
rigoureusement prévisibles ni parfaitement déterminés.
Le physicien DIRAC a parlé du libre-arbitre de l'électron et certains
philosophes ont pensé qu'il y avait là une chance à saisir pour justifier la liberté humaine.
En effet, qu'il y eût de
l'indétermination dans la nature physique et biologique, n'était-ce pas pour notre liberté la possibilité de s'insinuer, de se
glisser dans la trame des choses à la faveur des lacunes ou des déchirures du déterminisme universel ?
Pareille position ne nous paraît pas satisfaisante et pour plusieurs raisons :
• La liberté ne gagne pas à être cherchée sur le plan des choses, dans le monde des objets naturels : elle risque d'y
perdre toute consistance et tout prestige, de faire figure de parente pauvre dans un monde qui ne la tolérerait que
comme une exception, une dérogation, voire une anomalie.
A exister, la liberté doit être, non pas totale sans doute, mais
éclatante et glorieuse.
Pour éviter de lui faire une situation diminuée, il n'est que de la rendre à son véritable domaine,
celui de l'esprit.
« La liberté, dit justement JASPERS, n'a pas de place dans le monde des objets.
»
• A vouloir introduire la liberté dans le monde naturel, encore faudrait-il en faire autre chose qu'un échec ou qu'une
impureté du déterminisme.
Il faudrait en quelque sorte, libéraliser le monde, c'est-à-dire affirmer qu'il porte en lui
l'exigence de la liberté malgré le déterminisme.
On verrait alors la liberté s'éveiller dans la matière même, sous la forme
encore négative de contingence ou de hasard, passer dans l'être vivant à un degré supérieur de spontanéité ou
d'indépendance, puis s'épanouir enfin dans la nature humaine avec l'éclosion de l'esprit.
Ainsi se découvriraient dans
l'indétermination matérielle et la relative indépendance animale la promesse, l'esquisse et la préparation de la liberté
humaine, puissance de choix et d'invention.
Conception séduisante mais dont il faut mesurer les implications métaphysiques.
De deux choses l'une : ou bien Dieu
n'existe pas et une pareille genèse est tout à fait inintelligible, ou bien Dieu existe et rien ne permet d'assurer qu'il ait
besoin de frapper la nature de contingence pour rendre possible la liberté humaine.
• Enfin, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il serait imprudent de fonder la philosophie de la liberté sur les difficultés
présentes de la microphysique.
Les physiciens pourraient fort bien restaurer la conception déterministe des phénomènes
naturels même pour les microphénomènes, quitte à assouplir un principe dont la rigueur était trop grande pour convenir
parfaitement aux objets physiques pris à n'importe quelle échelle.
b) Situation de l'homme dans le monde.
Il est impossible de méconnaître la situation privilégiée de l'homme dans le monde et l'éminente dignité que lui confère la
qualité de sujet pensant.
Alors même que la nécessité régirait toutes choses, l'homme n'y serait point assujetti comme un
objet parmi les objets du monde.
L'affirmation de la nécessité n'est possible que par un acte de liberté.
L'animal la subit,
mais l'homme s'élève au-dessus d'elle du seul fait qu'il la pense et qu'il la conçoit; il s'en afffranchit pour la connaître, la
comprendre et l'affirmer.
Comme LAGNEAU l'a bien vu, en posant le déterminisme, nous nous arrachons à une nécessité de
fait pour concevoir une nécessité de droit, rationnellement fondée, et cet acte même témoigne en faveur de la liberté qui
nous appartient.
Bien plus, un tel privilège souligne la transcendance de l'homme par rapport à la nature, c'est-à-dire le fait que nous avons
dans notre être une dimension métaphysique, transnaturelle, un statut original et distinctif qui nous élève au-dessus des
choses et nous soustrait partiellement à l'empire du déterminisme.
L'homme est extra-mondain, disent certains
philosophes qui ne sont pas pourtant spiritualistes, donnant une expression presque amusante à cette idée que l'esprit
ne peut se réduire aux dimensions du monde puisqu'il est ce par quoi l'homme pense le monde comme objet et agit sur lui.
Il faut se garder toutefois de considérer la condition humaine comme une exception au sens péjoratif du terme, c'est-àdire comme un phénomène anormal, irrégulier, dérogatoire.
Exceptionnelle, la condition humaine l'est par son excellence,
son éminence, parce qu'elle porte en elle la puissance et la gloire de l'esprit.
c) Libération par le déterminisme.
Malgré le paradoxe on peut dire que l'idée de déterminisme est pour nous un facteur ou un moyen de libération : en effet
la connaissance des lois de la nature accompagnée de la confiance dans leur constance, nous permet de l'expliquer
rationnellement et d'agir sur elle par la technique en vue d'améliorer notre existence matérielle; double libération par
rapport à l'ignorance et à l'impuissance devant le monde extérieur.
Même sur le plan psychologique, l'habitude dont l'automatisme est une forme de déterminisme, est susceptible de rendre
service à l'esprit et d'avoir une fonction libératrice.
Il en est de même pour tous les automatismes et mécanismes qui
entrent en jeu dans notre vie psychique.
Rappelons le mot de SCHELLING « Tout être, aussitôt qu'il devient sujet,
convertit la détermination en spontanéité, la nécessité en liberté.
»
Remarque.
Du reste on peut soutenir que le problème de la liberté n'intéresse que la nature humaine, non la nature
extérieure et qu'il n'est pas de ce fait un problème cosmologique..
»
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