Y a-t-il à la question: "Que faut-il faire ?", une réponse ayant valeur universelle ?
Extrait du document
«
Position de la question.
C'est un fait que les prescriptions morales courantes varient selon les temps et les lieux,
et la conscience ne fait souvent qu'entériner ces jugements courants.
L'inceste (par exemple chez les pharaons de
l'ancienne Égypte) et la polygamie, l'esclavage et le meurtre des prisonniers de guerre, l'infanticide et la mise à mort
des vieillards, tout, comme le dit PASCAL (Pensées, 294), « a eu sa place entre les actions vertueuses ».
La morale
chrétienne prescrit le pardon des offenses ; mais d'autres font une obligation à l'offensé de la « vengeance du sang
».
Il serait facile de conclure de là à un scepticisme moral total, de disqualifier ainsi les jugements de la conscience,
tout au moins d'en tirer la négation de l'universalité des règles morales.
Mais une telle conclusion s'impose-t-elle ?
I.
Fausses conceptions de la conscience et des règles morales.
A.
— Beaucoup d'auteurs se sont représenté la conscience comme une sorte d'instinct inné, « juge infaillible du bien
et du mal », et les règles morales comme des prescriptions absolues et immuables dont il s'agit surtout de respecter
la lettre, sans s'en écarter d'un iota .
Cette formule de Rousseau, que l'on peut lire dans l'Emile, aborde la question
de la conscience dans sa dimension morale.
En effet, si comme nous l'avons
montré dans l'analyse de la citation de Pascal, la conscience signifie au sens
premier « accompagné de savoir », elle prend également un sens moral, et les
expressions que nous venons d'évoquer montrent qu'elle apparaît comme ce
sentiment qui pourrait nous permettre de distinguer le bien du mal.
Tel est le
sens de la formule de Rousseau puisqu'il la qualifie de « juge infaillible ».
Ainsi, la conscience morale serait ce sentiment moral inné que tout homme
possèderait.
Il suffit alors d'écouter « la voix de sa conscience » pour savoir
qu'on a mal agi, ou, pour bien juger, de juger « en son âme et conscience ».
Si on peut alors définir l'homme par la conscience, c'est donc aussi en tant
qu'être moral ou, en tout cas, en tant qu'être pour qui la question morale se
pose.
Pourtant, faire reposer la morale sur un sentiment n'est pas sans poser
problème.
En effet, n'est-il pas possible de faire le mal en toute bonne
conscience ?
Comment dans ces conditions Rousseau peut-il soutenir l'infaillibilité de ce
sentiment ? Parce qu'un sentiment anime le cœur des hommes et caractérise
l'humanité : la pitié, sentiment qui le conduit à souffrir au spectacle de la
souffrance de l'autre.
Pourtant, de nombreux événements dans la vie
courante et dans l'histoire nous montrent que ce sentiment n'est pas toujours
présent chez les hommes.
En effet, si on affirme que l'homme est animé par ce sentiment, que sa conscience le
guide, comment, une fois encore, comprendre la barbarie, la violence, la cruauté dont les hommes peuvent être
capables ? L'argumentation de Rousseau est double :
- si les hommes sont capables de cruauté, c'est parce que la société les a pervertis en faisant naître le vice, la
comparaison et la rivalité ;
- l'existence de ce sentiment est avérée par la réalité.
En effet, si la morale ne reposait que sur la raison, cela ferait
bien longtemps que l'humanité aurait disparu.
B.
— Il va de soi que, dans une telle conception, la moindre variation dans les jugements de la conscience ou les
prescriptions des règles morales constitue une fissure dans le bloc rigide de la moralité et peut être exploité contre
elle..
»
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