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Vouloir avoir raison est-ce critiquable

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« O n évitera de réfléchir trop longuement sur le s ens de l' expression avoir raison ; de se demander si avoir raison c' est détenir la vérité.

O n insis tera au contraire sur le vouloir en question : qu'est-ce que vouloir avoir raison ? jusqu'où ce vouloir est légitime ? à partir de quand devient-il critiquable ? Introduction • Lors que, un an après avoir publié le résultat de ses travaux, Galilée dut abjurer ses "erreurs" devant l'Inquisition, ce que critiquaient en fait ses juges était bien moins un système qui pouvait, somme toute, être admis par l'Église qu'une volonté délibérée d'avoir raison indépendamment de ce que qu'enseigne la révélation.

«C e qui était intolérable, éc rit Ernst C assirer, ce qui menaçait le s ystème de l'Église jusque dans s es fondements , c'était la nouvelle conc eption de la vérité que proclamait Galilée.» • C et épis ode célèbre de l'histoire nous marque combien il convient de distinguer le fait d'avoir raison de la volonté de convaincre autrui que l'on a raison. V ouloir avoir raison est alors une faç on d s'opposer à autrui„de mettre sa vérité en question.

Le problème se pose donc de s avoir si cette volonté est toujours légitime ou si elle n'est pas parfois critiquable. 1.

Vouloir avoir raison : obtenir légitimement l'adhésion d'autrui Le langage commun utilise souvent l'expression avoir raison de...

au sens d e vouloir surmonter une difficulté.

P ar exemple, «vouloir avoir raison d'un problème de mathématiques» signifie mettre tout en oeuvre pour le résoudre.

En ce sens, la volonté d'avoir raison ne parait pas critiquable, et la question même de sa légitimité ne semble pas devoir être posée.

En revanche, on peut s'interroger sur cette légitimité lorsque vouloir avoir raison consiste à vouloir obtenir l'adhés ion d'autrui. a) C onvaincre sans contraindre : le res pect d'autrui • V ouloir avoir raison doit alors s 'entendre moins comme le désir de vouloir la vérité elle-même, pour elle-même, puis qu'on est supposé la posséder, que comme le désir de faire partager notre conception de la vérité, de faire adhérer autrui à nos vues, de le convainc re. • V oulant convaincre mon interlocuteur que j'ai raison sur tel sujet, un dialogue peut s'instaurer entre lui et moi, à l'issue duquel je veux avoir eu rais on des arguments de cet interlocuteur et lui prouver que j'avais raison de penser c omme je le faisais.

Or, c'est seulement partir du moment où je reconnais en autrui une «personne», c'est-à-dire un être raisonnable, digne de respec t et qui n'est pas moins capable de bien juger que moi, qu'un dialogue authentique peut s'ins taurer. A insi, dès lors que je considère autrui capable d'avoir raison de la même façon que moi ; que je suppose chez lui la même capacité que j'ai, moi, à discerner le vrai du faux, le bien du mal, le beau du laid ; que je l'écoute c omme je souhaite qu'il m'éc oute ; que je ne pense pas avoir plus de droit que lui à parler s ur tel ou tel sujet ; alors je peux vouloir avoir raison tout à fait légitimement.

Et ce qui vaut sur le plan individuel vaut de la même façon sur celui des groupes (de personnes), par exemple des relations d'État à État : dès lors qu'un État ne souhaite pas vouloir avoir raison contre un autre État en menaç ant ce dernier s'il ne se range pas à son opinion, c'est encore en toute légitimité que chac un pourra vouloir avoir raison. b) Les moyens de c onvaincre autrui • V ouloir avoir rais on implique que l'adhésion de l'autre n'est pas acquise, que c'es t un but à atteindre et qu'il convient de s e donner les moyens d'y parvenir.

il faut donc dis tinguer entre la vérité que l'on pense détenir et les moyens que l'on met en oeuvre pour convaincre autrui, moyens qui ne sont pas néces sairement rationnels en ce sens qu'ils ne s'adressent pas toujours à la raison, mais peuvent s'adresser au coeur, aux sentiments, à la cons c i e n c e morale, etc.

Je puis vouloir, par exemple, qu'autrui partage mon enthousiasme pour tel compos iteur ou pour tel peintre ; or, je ne puis en toute rigueur lui démontrer sur ce plan que j'ai rais on. • Il n'est pas c ritiquable de vouloir avoir raison si l'on n'use pas de n'importe quels moyens : certains moyens, comme par exemple l'usage sophistique de la rhétorique, peuvent être critiqués en tant qu'ils visent à persuader autrui en s'adressant non à s o n intelligence ou à s a sensibilité, mais à la part d'irrationalité négative qu'il y a en lui : ses instincts, ses pass ions.

Bref, il n'est pas critiquable de vouloir avoir raison tant qu'on cherche à pers uader sans impos er et sans manipuler. 2.

Vouloir avoir raison n'est pas vouloir le vrai • T ant que la volonté d'avoir raison s'exerce dans le respect d'autrui, elle n'est pas critiquable : il suffit que j'aie toujours à l'esprit qu'autrui peut auss i avoir raison pour que je puiss e vouloir le convaincre légitimement.

Dans ces conditions, n'est-ce pas lorsque la volonté d'avoir raison devient l'as surance de posséder la vérité, et que celle-ci doit s'imposer, que vouloir avoir raison devient c ritiquable ? • C 'est la leçon de D e s c artes d'avoir montré que la vérité ne peut être fondée que sur le doute.

V ouloir avoir rais on devient donc critiquable dès lorsque cette volonté est antinomique du doute, dès lors que l'on veut que s a vérité soit la vérité.

A partir du moment où l'on ne dit plus «J'aimerais vous convaincre que j'ai raison, toutefois, vous pouvez l'entendre autrement et vous pouvez même me convaincre que j'ai tort», mais que l'on déclare au contraire : «Il en est ainsi, il n'est pas d'autre alternative», il n'y a plus véritablement recherche et amour de la vérité.

C ar, Platon l'a souligné, l'affirmation de la vérité s uppose interrogation, dialogue, écoute de l'autre ; écoute de ce qui semble vrai à autrui. 3.

Nietzsche : l'insidieuse volonté des faibles d'avoir raison des forts • M ais les idées mêmes de vérité et de raison ne peuvent-elle être remise en cause ? Ne faut-il pas, avec Nietzsche, voir dans la «vérité» «une sorte d'erreur, faute de laquelle une certaine espèce d'être vivants ne pourraient vivre» (La V olonté de Puissance), «vérité» qui s e prouve «parle sentiment d'une puissance accrue» (ibid., I, i, § 190).? • Dans cette perspective, vouloir avoir rais on ne peut, finalement, être critiquable quand c'est une volonté qui s'affirme sans référence à autrui : volonté d'affirmation de soi, de c réation, volonté qui ne se situe ni du c ôté du bien, ni du c ôté du mal ; c'es t une force qui est, simplement, authentiquement.

A insi le «fort», selon la terminologie nietzschéenne, ne veut pas avoir raison, car il affirme ses rais ons sans opposition à un autre que lui.

C e qui précis ément es t critiquable, c 'est la volonté de convaincre autrui, en en appelant à la Raison, au V rai et au Faux, au Bien et au M al, etc., et cette volonté d'avoir raison est celle des «faibles».

Nietzsche montre que l'on peut interpréter l'histoire comme celle de la volonté des faibles d'avoir raison des forts, volonté qui apparaît d'ailleurs à Nietzsc he plus méprisable enc ore que c ritiquable car la volonté du faible n'est pas une volonté qui s'affirme, c'est une volonté qui s'oppose sournoisement ; qui n'agit pas, mais qui réagit.

A nimé par le ressentiment, le faible n'affronte pas directement le fort.

I l agit par ruse, souterrainement, insidieusement, pour culpabiliser le fort.

Une telle volonté réactive d'avoir raison (manifestée par le type du prêtre, du métaphys icien ou du théoricien d'un s ocialisme uniformisant) s'exerce sans véritable violenc e physique : le faible doit arriver à dominer en l'affaiblissant le fort par le discours, la négation des faits, l'illusion, l'appel à un principe supérieur. Conclusion Nous pouvons, sans que cela soit critiquable vouloir avoir rais on : il suffit de rec onnaître qu'autrui peut être animé de la même volonté et de le respecter dans notre tentative de le convaincre : dès lors que vouloir avoir raison ne signifie pas vouloir triompher d'autrui, on peut légitimement vouloir le convaincre, une telle volonté étant par ailleurs l'une des conditions d'un progrès dans la recherche objective de la vérité.

M ais la valeur même d'une telle recherche peut être contestée.. »

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