Violence et vérité sont-elles nécessairement incompatibles ?
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Introduction
On affirme volontiers que la vérité finit toujours par l'emporter.
Mais est-ce de son propre mouvement, par la seule
force que lui confère sa nature, ou lui faut-il l'aide de la violence?
I.
Violence et irrationalité
— La violence, c'est la non-argumentation, toujours hors-langage.
— S'il peut y avoir accord apparent entre violence et vérité, ce ne peut être que lorsque celle-ci est elle-même
difficile, voire impossible à communiquer et que, par manque de mots ou de preuves, elle verse dans la violence.
Une
telle forme de vérité se présente-t-elle?
— Historiquement, oui, notamment sous l'aspect de la vérité religieuse — qui, selon Freud ne peut se généraliser par
argumentation parce qu'elle se fonde sur une expérience éminemment individuelle.
— La vérité est ainsi compatible avec la violence lorsqu'elle a ce caractère paradoxal de ne pas être universalisable
par des voies rationnelles.
II.
Violence et rationalité
— Dès que la vérité s'affirme conforme aux normes de la rationalité, on constate au contraire que sa diffusion
s'opère à l'intérieur du discours et qu'elle n'implique plus le recours à la violence:
• cas des vérités philosophiques (il n'y a pas de «guerres de philosophie» comme il y a eu des guerres de religion);
• cas des vérités scientifiques.
— La situation peut alors s'inverser: la violence s'exerce plus volontiers contre la vérité rationnelle.
Au moins sous
forme symbolique (procès de Galilée).
— Lorsqu'une thèse a besoin d'une certaine violence pour s'imposer en tant que vérité, on peut affirmer, non
seulement qu'elle ne respecte pas les conditions normales du débat rationnel ou scientifique, mais surtout qu'elle a
peu de chances de constituer une vérité (affaire Lyssenko).
— Ce qui a recours à la violence, c'est, non pas la vérité rationnelle, mais bien l'idéologie (exemple: les faux débats
suscités en U.R.S.S.
par la prétendue différence entre science bourgeoise et science prolétarienne).
III.
Violence et histoire
— S'il est bien une dimension où la violence s'exerce périodiquement, c'est celle de l'histoire, de la pratique humaine.
— On peut admettre que vérité et histoire sont liées, pour peu que l'on adopte un point de vue dialectique (au sens
hégélien ou marxiste); il apparaît alors que la vérité relève de la pratique dans son processus de dévoilement
progressif, s'il est vrai qu'elle n'est jamais donnée initialement, mais ne peut que se révéler à travers la suite
d'événements contradictoires.
— C'est pourquoi le marxisme lui-même est l'une des rares philosophies qui, simultanément, justifie le recours à la
violence (traditionnellement refusée par la raison philosophique depuis Platon), et affirme que sa propre vérité doit
s'éprouver par rapport à une exigence d'efficacité dans le réel.
— Dans un tel contexte, on soutient que vérité et violence, loin d'être incompatibles, sont étroitement liées, dans la
mesure où la vérité, en tant que pratique, se heurte d'abord à des obstacles (idéologiques, politiques) que seule la
violence peut balayer.
Il devient alors clair que, si l'on admet que tout phénomène social est traversé par la lutte des classes, les vérités
scientifiques ou rationnelles elles-mêmes peuvent être considérées comme des enjeux de cette lutte, et que la
violence les concerne.
Conclusion
L'incompatibilité entre vérité et violence paraît logique tant que l'on adopte le point de vue d'une philosophie
affirmant que la rationalité se déploie indépendamment des bouleversements de l'histoire.
Si l'on affirme au contraire
que l'histoire englobe aussi le développement des exigences rationnelles, ces dernières apparaissent moins
idéalement « neutres», et sont prises dans des situations où la violence ne se prive pas d'intervenir.
Ce qui pose un
problème qui, au-delà de l'éthique ou de la politique, est bien métaphysique: l'idée que la vérité coopère avec la
violence n'est-elle pas scandaleuse?.
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