Vigny écrit dans le Journal d'un poète : « J'aime peu la comédie, qui tient toujours plus ou moins de la charge et de la bouffonnerie ». Il précise plus loin sa pensée en disant : « Je sais apprécier la charge dans la comédie, mais elle me répugne parce
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La comédie, dans le sens de cette pièce de théâtre qui représente de façon plaisante les caractères et les mœurs des hommes, a longtemps souffert du mépris d'un public trop épris de « noblesse tragique » pour ne voir en elle qu'une forme dramatique dégradée. Molière lui-même, à ses débuts, se croyait un pur tragédien, laissant le comique à ces intermèdes farcesques auxquels il n'accordait que peu de soin. Il fallait quelques fiascos, dont le méconnu Don Garde de Navarre, pour le forcer à la comédie, lui conférant alors toute sa dignité. Il n'est donc pas surprenant de trouver sous la plume « altière » d'un Vigny ces propos dont la sévérité étonne puisqu'elle s'exerce sur des œuvres aussi considérables que celles de Molière, évidemment, mais aussi de Marivaux et de Beaumarchais. « La comédie, écrit-il, tient toujours plus ou moins de la charge et de la bouffonnerie ». Il ajoute plus loin : « La charge me répugne, parce que, dans tous les arts, elle enlaidit et appauvrit l'espèce humaine et, comme homme, elle m'humilie ».
On montrera donc, dans une première partie, que si la comédie relève souvent de la farce et de la bouffonnerie, c'est qu'elle se met efficacement au service du moraliste, voire du censeur : « castigai ridendo mores », on connaît la célèbre formule. Ainsi la remarque de Vigny passera-t-elle pour excessive, à moins que l'auteur des Destinées et des Poèmes antiques et modernes n'ait pressenti déjà la fonction sociale que la comédie assume par le rire qu'elle s'efforce de susciter.
«
Vigny écrit dans le Journal d'un poète : « J'aime peu la comédie, qui tient toujours plus ou moins de la charge et de la bouffonnerie ».
Il
précise plus loin sa pensée en disant : « Je sais apprécier la charge dans la comédie, mais elle me répugne parce que, dans tous les arts,
elle enlaidit et appauvrit l'espèce humaine et, comme homme, elle m'humilie ».
Qu'en pensez-vous ?
La comédie, dans le sens d e cette pièce de théâtre qui représente de façon plaisante les caractères et les mœurs des hommes, a
longtemps souffert du mépris d'un public trop épris de « noblesse tragique » pour ne voir en elle qu'une forme dramatique dégradée.
Molière lui-même, à ses débuts, se croyait un pur tragédien, laissant le comique à ces intermèdes farcesques auxquels il n'accordait que
peu de soin.
Il fallait quelques fiascos, dont le méconnu Don Garde de Navarre, pour le forcer à la comédie, lui conférant alors toute sa
dignité.
Il n'est donc pas surprenant de trouver sous la plume « altière » d'un Vigny ces propos dont la sévérité étonne puisqu'elle s'exerce
sur des œuvres aussi considérables que celles de Molière, évidemment, mais aussi de Marivaux et de Beaumarchais.
« La comédie, écritil, tient toujours plus ou moins de la charge et de la bouffonnerie ».
Il ajoute plus loin : « La charge me répugne, parce que, dans tous les
arts, elle enlaidit et appauvrit l'espèce humaine et, comme homme, elle m'humilie ».
On montrera donc, dans une première partie, que si la comédie relève souvent de la farce et de la bouffonnerie, c'est qu'elle s e m e t
efficacement au service du moraliste, voire du censeur : « castigai ridendo mores », on connaît la célèbre formule.
Ainsi la remarque de
Vigny passera-t-elle pour excessive, à moins que l'auteur des Destinées et des P o è m e s antiques et modernes n'ait pressenti déjà la
fonction sociale que la comédie assume par le rire qu'elle s'efforce de susciter.
I.
CASTIGA TRIDENDO MORES
— Corriger par le rire les vices des hommes : tel est le but élevé que l'on peut apercevoir en filigrane de l'oeuvre de Molière par exemple.
La comédie devient alors psychologique et complètement tournée vers l'Homme.
Molière fit en effet défiler tout son siècle dans s e s
comédies : grands seigneurs (Dom Juan, le Misanthrope), bourgeois (le Bourgeois gentilhomme), précieux (les Précieuses ridicules),
médecins (le Médecin malgré lui ; le Malade imaginaire), etc.
— Mais aussi à travers la peinture des hommes de son siècle, il brasse, la peinture de la nature humaine.
Les titres de certaines comédies
sont à ce propos significatifs :
L'Avare, le Misanthrope...
En outre certains noms propres désignent aujourd'hui des caractères : on dit un Dom Juan, un Tartuffe, un
Harpagon (Antonomase).
Des caractères, mais aussi des vices.
Molière choisit donc l'arme du rire pour s'attaquer aux vices des hommes.
« Le ridicule jeté à propos a une grande puissance »
(Montesquieu).
Dans ces conditions il est normal que la comédie tienne de la charge et de la bouffonnerie, ce qui est tout à l'honneur de
ces deux dernières.
Exemples :
— Chez Molière : Monsieur Jourdain, Argan, Harpagon.
— Chez Lesage : Turcaret.
Portrait d'un financier sans scrupule à la veille de la révolution.
Stupide, cynique, grossier, cupide et sans
finesse.
— Chez les Anciens : Plaute, dont Molière s'est nourri.
On citera l'Aululaire, les Ménechmes, les Miles Gloriosus, Aristophane.
— Mais cependant ce comique frôle aussi la bouffonnerie.
On y retrouve tous les éléments traditionnels de la farce : quiproquos, jeux de
mots, soufflets, coups de bâtons, poursuites, etc.
Boileau déplore chez Molière « ce sac ridicule ou Scapin s'enveloppe ».
Mais est-ce seulement ce manque de finesse, cette « grossièreté »,
qui répugne Vigny ?
II.
LA GRIMACE DU BOUFFON EST-ELLE SEULEMENT RIDICULE ?
— Noter la violence du vocabulaire employé par Vigny : répugner, humilier.
Dans répugner, il y a la racine latine pugnare : combattre.
Certes, Vigny a une vive conscience de la dignité humaine, et on peut concevoir qu'il désapprouve la caricature comique, la grimace du
bouffon qui déforme en gonflant ses joues (bouffer) les bruits de son visage.
Cela explique-t-il une telle virulence de propos ? , Certes, Vigny, par nature, est davantage porté à goûter les tragédies qui exaltent les vertus que les comédies qui dénoncent les vices.
On
imagine qu'il préfère le spectacle de la noblesse (le Cid) à celui de la bassesse (Tartuffe).
Mais faut-il réduire sa réaction à celle d'un homme qui veut fuir une image déplaisante ?
Quel esprit superficiel manifesterait-il alors dans l'un et l'autre cas ! On peut penser plutôt que Vigny est choqué, blessé par quelque
chose de moins voyant que le ridicule, quelque chose que Bergson mettra beaucoup plus tard en évidence, sa fonction sociale.
De la
formule castigat ridendo mores, on retient ridendo (en riant), on oublit castigat (châtie).
— La comédie est un châtiment.
Chez les Grecs, déjà, la comédie, placée sous la protection du dieu Cornus, connu pour présider à toutes
les réjouissances de la table, met en scène des citoyens d'Athènes en les nommant très explicitement.
L'exemple le plus célèbre : les
Grenouilles où Euripide devient la cible des railleries d'Aristophane.
La comédie est bien à l'origine un règlement de compte public.
Mais avec l'analyse que Bergson produit du rire, les enjeux de la comédie
deviennent forts clairs :
« Le rire est un certain geste social qui souligne et réprime une certaine
distraction spéciale des hommes et des événements.
»
« Le rire est avant tout une correction.
» Par conséquent, la comédie
dont le ressort est principalement le rire devient l'instrument de cette
correction.
« La comédie est mitoyenne entre l'art et la vie.
Elle n'est pas désintéressée comme l'art pur.
En organisant le rire, elle accepte la vie
sociale comme un milieu naturel.
»
La comédie n'est donc pas loin d'être, par définition, « conformiste ».
De fait, Molière, n'est pas toujours irréprochable :
— Contre les précieuses : beaucoup d'injustice et d e misogynie (les Précieuses ridicules).
On a appris à reconnaître depuis quelques
années l'extrême liberté d'esprit et l'avant-gardisme intellectuel de ces dames des salons.
— Contre les médecins et les prêtres : les uns et les autres sont déjà les cibles préférées des fabliaux du Moyen Age (Voir le Vilain Mire).
— Contre les paysans : Molière façonne un archétype de paysan abruti à souhait qui ne pouvait que ravir la cour.
ELEMENTS POUR UNE CONCLUSION
— La violence de Vigny étonne et l'on peut être surpris par de pareils propos qui rejettent Molière, Régnier et plus proches de nous les
grands comiques du cinéma muet.
— Mais ces propos indiquent bien que Vigny a su discerner aussi la « fonction sociale » du comique.
On remarquera qu'il ne repousse pas
la force et la caricature au nom de principes esthétiques (ce que firent
les classiques par exemple) mais en vertu d'une certaine idée de la dignité humaine.
Ce déplacement est très significatif.
— La virulence de Vigny a le mérite de démystifier ce que certains considèrent encore comme un divertissement innocent..
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