Victor Hugo a écrit : « Améliorer la vie matérielle, c'est améliorer la vie morale. Faites les hommes heureux, vous les- ferez meilleurs. » Est-il vrai que le progrès matériel entraîne nécessairement le progrès moral ?
Extrait du document
«
La moral renvoie à une excellence du caractère, elle fait appelle aux catégories du bien et du mal.
Elle a une portée
abstraite, puisqu'elle engage le domaine des valeurs.
Rapporter son évolution et sa réalisation à la sphère matérielle
ne va pas sans poser de problèmes.
Viser l'enrichissement peut-il se faire en accord avec la vertu.
Plus encore, est-ce en visant ce progrès matériel que
nous pouvons atteindre un idéal de moralité ? Ces deux ordres sont-il interdépendants l'un de l'autre ?
Le tout est de comprendre si notre manière de vivre peut influencer notre sens moral, si le progrès moral est partie
prenante de l'évolution des conditions de notre existence.
A cet égard l'amélioration de notre condition d'existence
irait de paire avec celle de notre moralité.
Le progrès matériel et sens moral et l'esprit du commerce
Hutcheson distingue d'un côté les passions bienfaisantes et égoïstes, de l'autre entre impulsions calmes et
violentes.
L'activité de commerce dépend justement de ces impulsions contrastées.
Elle fait appelle à une attitude
qui tend à ne pas l'opposer de façon intrinsèque à la vertu, elle peut même apparaître comme l'instrument de celleci.
Selon lui en effet : « (…) Le tranquille désir de s'enrichir oblige à s'imposer des dépenses somptuaires chaque foi
que c'est nécessaire pour conclure une affaire avantageuse ou s'assurer d'un emploi alors que la passion de l'avar le
fait reculer devant de tel frais.
».
A cet égard le tranquille désir de s'enrichir oblige une certaine mesure, un contrôle
de soi qui rappelle la vertu morale.
Shaftesbury va plus loin en affirmant : « Si le souci de l'enrichissement est
modéré et raisonnable et s il fait naître aucune inclination passionnée rien alors ne s'y attache qui ne le rende
incompatible avec la vertu, et il peut même convenir à la société et lui être profitable ».
Des activités mercantiles peuvent donc non as conduire à l'égoïsme et à l'immoralité mais à la vertu elle-même.
Si
bien que ces auteurs admettraient aisément que le progrès matériel ne contredit en rien le progrès moral.
Nous irons
même plus loin en affirmant avec Montesquieu que l'intérêt économique conduit à une certaine moralité.
Le
commerce possède aux yeux de Montesquieu bien des vertus, alors que l'expansion des échanges va de paire avec
l'adoucissement des mœurs.
« C'est que écrit-il, l'esprit du commerce entraîne avec soi celui de frugalité,
d'économie, de modération, de travail de sagesse, de tranquillité, d'ordre de règle.
Ainsi tans que cet esprit
subsiste, les richesses qu'il produit n'ont aucun effet ».
( extrait de l'ouvrage de Hirschman, Les passions et les
intérêts).
La richesse et la propriété comme corruption des mœurs
Le degré de développement de richesse et la moralité d'une société est en somme ce que l'on appelle le degré de
civilisation.
Le progrès matériel d'une civilisation s'accompagne également de production artistique et scientifique.
Pour Rousseau cette évolution n'est pas signe d'un progrès mais davantage d'une corruption.
Pour Rousseau la société est née de la propriété, seulement cet acte est un acte infondé puisque initialement la
terre appartient à tous.
Rousseau considère ce droit comme une imposture dans la mesure où la terre appartient
originellement à tous.
Il explique ainsi au cours Du discours sur l'origine et le fondement des inégalités : « Le premier
qui ayant enclos un terrain et s'avisa de dire ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire fût le
fondateur de la société civile ».
En effet précise Rousseau : « Telle fut, ou dut être l'origine de la société et des lois
qui donnèrent de nouvelles entraves au faible et de nouvelles force au riche, détruisant sans retour la liberté
naturelle fixèrent pour jamais la loi de propriété et de l'inégalité, d'une adroite usurpation firent un droit irrévocable
et pour le profit de quelques ambitieux assujettirent désormais tout le genre humain au travail, à la servitude et à la
misère ».
L'accroissement des richesses s'est accompagné d'une corruption de la société qui a vu naître des
inégalités.
Plus encore, le progrès matérielle de la société s'est accompagnée selon Rousseau Discours sur les sciences et les
arts de l'apparition du luxe, et a entraîne le développement d'une vanité et d'une individualité auxquels à moyen
terme, le corps politique ne peut pas survivre.
De cette culture tous les éléments sont néfastes : la science vaine
recherche d'une vérité inaccessible n'enseigne aux hommes que l'impiété consiste à vouloir rivaliser en sagesse avec
le créateur, les lettres apportent un raffinement de langage qui alliés au raffinement des manières ne sert qu'à
mieux tromper autrui ; les arts corrompent le goût naturel et rendent impropre à cette tache virile, la philosophie
replie l'individu sur lui-même et multipliant les paradoxes finit par détruire les évidences morales les plus
indispensables à la société.
Si donc « nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont
avancés à la perfection au point que nos soldats sont énervés par les sciences qu'ils ignorent » ce n'est pas un
« malheur particulier à notre âge ».
Ce progrès des sciences et des arts n'aurait pas aggravé la corruption des
cœurs, et donc mené à la dissolution et à l'esclavage si ces sciences et ces arts mêmes n'avaient dû « leur
naissance à nos vices », et leur culture n'avait procédé de cette passion négative par excellence que Rousseau
nomme « amour propre ».
La civilisation pour Rousseau fondée sur l'usurpation n'est pas signe d'un progrès moral, mais plutôt celui d'un
éloignement de l'homme à la moralité première.
Autant dire que la moralité ne résulte pas d'un progrès matériel.
Le progrès moral comme indépendant de mobiles matériels.
»
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