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Vaut-il mieux changer ses désirs que l'ordre du monde ?

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« Le sujet repose sur la mise en rapport du désir et de l'ordre du monde, posée comme une opposition radicale à l'origine, ce qui est paradoxal.

L'opposition désirs/ordre du monde est paradoxale parce qu'on n'invite pas ici à renoncer à ses désirs, mais à les changer, pour les faire coïncider avec l'ordre du monde.

On ne peut donc pas affirmer, en toute cohérence, que le désir se définit par essence contre l'ordre du monde, qu'il est purement et simplement négation du réel.

Pourtant, telle est la thématique traditionnelle du désir.

Il faut donc peut-être analyser plus précisément la notion d'ordre du monde.

On parle bien d'un ordre, ce qui est déjà un peu plus qu'un ensemble de faits, que le simple cours du monde.

Quand les stoïciens affirment qu'il faut désirer l'ordre du monde, ils n'appellent pas à la résignation pure et simple : ils affirment que la raison est l'ordre du monde lui-même, et qu'il faut donc, pour les choses qui dépendent de soi, se conformer à cet ordre.

Ne peut-on pas résoudre la difficulté du sujet en montrant que la notion d'ordre du monde contient d'emblée une part de désir, et que changer ses désirs pour viser un ordre du monde, c'est aussi changer le monde, changer le cours du monde pour le faire coïncider avec un ordre ? Cela, à condition que l'ordre visé ne relève pas de l'égoïsme du désir ordinaire (Rousseau). Changer mes désirs plutôt que l'ordre du monde (Descartes). Dans la troisième partie du « Discours de la méthode », Descartes affirme qu'une de ses règles d'action est « de tâcher plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs plutôt que l'ordre du monde » (« Fortune » désigne ici le cours changeant de la nature). Pour comprendre cette maxime, qui semble d'un conformisme révoltant, il faut savoir qu'elle fait partie d'une morale « par provision », c'est-à-dire qu'elle ne correspond pas à la morale définitive de Descartes , mais s'intègre à un ensemble de règles provisoires et révisables, dictées par l'urgence de la vie et de l'action, alors même que la raison et la recherche recommandent la prudence. Le « Discours de la méthode » présente la biographie intellectuelle de l'auteur, et les principaux résultats auxquels il est parvenu par une démarche aussi singulière que révolutionnaire.

Afin de parvenir à une certitude absolue et indubitable, Descartes décide de remettre au moins temporairement en cause la totalité de ses opinions. Pour parvenir « à la connaissance vraie de tout ce qui est utile à la vie », il se voit obligé de rejeter la totalité de ce qu'il avait cru.

Dans les « Méditations », il décrit ainsi son attitude : « Je suppose que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n'a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de songes me représente ; je pense n'avoir aucun sens.

». Il faut comprendre que ce doute est une démarche intellectuelle qui a pour but de détruire le « palais » de l'ancienne métaphysique, qui n'était bâti que « sur du sable et de la boue », pour reconnaître le véritable palais des sciences sur le roc de la certitude. Mais une question nouvelle apparaît : pendant que je détruis mon ancienne demeure, pour en reconstruire une nouvelle, où vais-je loger ? « Car ce n'est pas assez, avant de recommencer à rebâtir le logis où l'on demeure, que de l'abattre [.] il faut aussi s'être pourvu de quelque autre où o puisse être logé commodément pendant le temps qu'on y travaillera.

» Pendant que le doute m'oblige à n'admettre aucun principe, comment vais-je vivre, et vivre au milieu des autres, sur quels principes vais-je régler mes actes, moi qui rejette tous les principes ? Sur quels critères vais-je choisir d'agir, pendant que je doute de tout ? La démarche intellectuelle de Descartes l'oblige à être irrésolu en ses jugements, de tout passer au crible du doute, mais « les actions de la vie ne souffrent aucun délai .

» « Ainsi, afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions pendant que la raison m'obligerait de l'être en mes jugements, et que je ne laissasse pas de vivre dès lors aussi heureusement que je pourrais, je formais une morale par provision.

» La morale par provision consiste à se donner des règles d'action, temporaires et révisables, pour vivre et agir de façon décidée et résolue, alors même que le doute me contraint à ne rien admettre pour vrai.

On est là à un moment très particulier de la démarche cartésienne ; un moment où le divorce est possible entre raison & action.

Ce qui prime dans l'ordre de la connaissance c'est la vérité.

Et elle impose le doute, la patience, la circonspection.

Ce qui prime dans l'action, c'est la résolution, c'est de savoir prendre partie s'y tenir face à l'urgence de la vie.

La morale par provision ne correspond qu'à un moment précis de la vie : celui où j'entreprends une réforme intellectuelle totale alors même qu'il me faut continuer à agir.. »

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