Une théorie scientifique est-elle une invention ou une découverte ?

« Termes du sujet: SCIENCE : Ensemble des connaissances portant sur le donné, permettant la prévision et l'action efficace.

Corps de connaissances constituées, articulées par déduction logique et susceptibles d'être vérifiées par l'expérience. INVENTION: Création d'une nouveauté par opposition à la découverte qui trouve ce qui était déjà là mais caché. Freud a découvert l'inconscient comme Christophe Colomb a découvert les Amériques.

Alors que Pascal a inventé la calculatrice. THÉORIE (n.

f., étym.

: grec theoria : vue d'un spectacle, contemplation, spéculation) 1.

— (Lato) Connaissance spéculative, abstraite, désintéressée, enchaînant des principes à des conséquences ; opposée à pratique.

2.

— Ensemble d'hypothèses gén.

visant à expliquer soit la totalité, soit une classe déterminée de phénomènes.

3.

— Ensemble d'hypothèses, d'opinions gén.

propres à un auteur.

4.

— Construction achevée d'une doctrine scientifique : « La théorie est l'hypothèse vérifiée après qu'elle a été soumise au contrôle du raisonnement et de la critique expérimentale » (Claude BERNARD). [Introduction] Périodiquement, le grand public est informé que vient d'être effectuée une nouvelle découverte qui fera avancer la science.

Cette découverte peut concerner aussi bien un virus, une loi ou une théorie reformulant ce qui était antérieurement admis.

Chacune de ces annonces peut donner l'impression que le savoir se rapproche de plus en plus du « coeur » de la réalité — ce qui signifierait qu'à plus ou moins long terme, la science aurait achevé son travail et trouverait ainsi son terme, alors même que bien peu de personnes oseraient une telle affirmation.

C'est qu'on admet volontiers que la découverte nous donne de ce qui est une version de plus en plus fidèle, et presque définitive.

Une telle illusion provient en grande partie de l'usage du mot découverte lui-même, qui semble circuler sans trop de précautions.

Si, par contre, on s'interroge pour savoir si une théorie scientifique constitue une découverte ou une invention, on risque de mieux comprendre en quoi consiste l'élaboration théorique elle-même, mais aussi l'ambition de la science. [I.

Que peut-on découvrir ?] [A.

Conception grecque de la vérité] Heidegger, lorsqu'il s'intéresse au terme grec désignant « la vérité », montre grâce à son étymologie que les Grecs avaient de la vérité une conception plus directement métaphysique ou ontologique que scientifique.

Alêthéia (« vérité ») signalerait en effet l'« absence de voilement » : ce qui demeurait dissimulé à l'esprit humain se révèle dans son être même.

Ainsi la vérité nous donnerait-elle accès à l'être des choses, à la réalité à la fois la plus profonde et la plus riche. Une telle interprétation de la vérité demeure sans doute satisfaisante, ou même rassurante pour l'esprit, auquel elle garantit un savoir total sur le monde.

Devenant en quelque sorte transparent, ce dernier livrerait ses mystères à l'homme.

Mais une telle conception ne peut avoir cours dans la science. [B.

L'univers phénoménal] Déjà au xviii siècle, Kant, réfléchissant sur les conditions de possibilité de notre connaissance, peut affirmer que celle-ci est nécessairement relative à la structure de notre raison, à laquelle il nous est impossible d'échapper pour adopter un point de vue absolu ou non humain sur le monde.

Maispour que la raison entre en jeu, encore faut-il qu'elle reçoive des informations, lesquelles dépendent elles-mêmes de notre sensibilité, c'est-à-dire de la façon dont nous pouvons être en relation avec le « réel ».

De ce dernier, dit Kant, nous ne percevons qu'une version « phénoménale », c'est-à-dire délimitée par ce qui nous en « apparaît », mais nous ne pouvons avoir accès, lorsqu'il y va de la connaissance, à la chose « en soi ».

Le monde de la connaissance est construit sur l'ensemble des phénomènes, et ce qui appartient à l'univers des « noumènes » (définis relativement à une pensée pure, sans intervention de la sensibilité) échappe à notre connaissance. Dans ce contexte, s'il y a « découverte », elle ne peut donc concerner qu'une version en quelque sorte « superficielle » de ce qui est : on ne « découvre plus le réel en lui-même, mais uniquement l'aspect par lequel il est à notre portée. [C.

Diversité de l'invention] Lorsqu'on évoque l'existence d'inventions, c'est le plus souvent en référence à un univers technique, d'objets utilitaires, de mécanismes, d'outils ou de systèmes ayant une incidence dans l'univers des choses.

Ce faisant, on oublie trop volontiers que l'invention est d'abord une démarche intellectuelle, se déployant aussi bien dans l'art que dans les techniques, dans l'univers du jeu. »