Une société juste est-elle une société sans conflit ?
Extrait du document
«
Cette question est pleine de paradoxe, et amène à se demander s'il peut bien exister de telles sociétés où les
conflits n'existeraient pas.
Un conflit peut être de plusieurs natures : entre différents pays, à l'intérieur même d'un
pays dans le cadre d'une guerre civile, d'une épuration ethnique.
Il peut s'agir d'un conflit social entre le pouvoir et
le peuple, d'un conflit entre différentes classes sociales, conflit à l'intérieur d'une entreprise, conflit pour la prise de
pouvoirs entre partis politiques.
Tous les pays connaissent ces conflits puisqu'il est difficile d'imaginer l'absence de
luttes d'intérêt entre certaines catégories de la population.
Il s'agit plutôt de réfléchir dans l'absolu à la possibilité
même de cette assertion en interrogeant la notion même de bonheur et de société, et voir si dans l'idée même de
société d'absence de conflits y a place.
N'est-ce dans la nature même de la société que d'être en proie à des
conflits ? Une société heureuse n'est-elle pas une utopie ?
La volonté générale doit s'imposer
Pour les théoriciens de la volonté générale, comme Rousseau, une société sans conflits est concevable.
Elle est
d'ailleurs la seule société authentiquement juste.
Les conflits, en effet, proviennent de ce que les individus sont
naturellement égoïstes et défendent leurs intérêts avant l'intérêt général.
Le problème de la création de l'Etat légitime peut donc s'énoncer ainsi :
« Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force
commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun
s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre
qu'auparavant.
»
Or, comment créer des lois et n'obéir à personne ? La réponse de Rousseau
est apparemment simple : « Le peuple soumis aux lois doit en être l'auteur.
»
Chaque individu promet d'obéir à la « volonté générale ».
La « volonté
générale » est ce qu'il y a de commun dans toutes les volontés.
Par exemple,
au moment où un groupe d'individus veut s'associer, il existe en chacun de
ses futurs membres une volonté commune : créer cette association, quelles
que soient par ailleurs leurs volontés particulières et différentes, singulières.
En promettant d'obéir à la « volonté générale », je ne promets en fait que
d'obéir à moi-même, qu'à une partie de ma volonté, qui se trouve coïncider
avec celle des autres.
Sans doute, en obéissant à la « volonté générale », ne
réaliserai-je pas toutes mes volontés, je ne satisferai pas tous mes intérêts.
Mais je me réaliserai que ce que je veux, que mes intérêts.
En aucun cas je
ne serai soumis à la volonté d'un autre.
Bref, je resterai libre.
« Tant que les sujets ne sont soumis qu'à de telles conventions, ils
n'obéissent à personne, mais seulement à leur propre volonté.
»
En obéissant à la loi, qui n'est qu'une déclaration de la « volonté générale », je perds ma liberté naturelle de faire
tout ce que je veux ou plus précisément tout ce que je peux , étant donné la force des autres qui peuvent
s'opposer à mes projets.
Mais je gagne précisément une liberté politique, qui me permet à la fois de n'obéir qu'à moimême (puisque je peux me considérer comme l'auteur de la volonté générale, qui est une partie de MA volonté), et
ne pas subir la volonté d'un autre (plus fort, plus rusé, plus riche).
De plus, il y a fort à parier que les lois seront justes, puisque ceux qui les font doivent les subir ; chaque membre de
l'Etat est à la fois et législateur et sujet.
Son propre intérêt lui commande donc de faire des lois judicieuses, puisqu'il
en subira les conséquences.
Ainsi, l'égoïsme naturel se voit servir l'intérêt commun.
On comprend alors la fort belle formule de Rousseau : « L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté.
» La
liberté n'est pas le caprice, mais le respect des lois que l'on se donne à soi-même et qui nous préservent de subir le
caprice d'autrui..
»
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