Une morale peut-elle être scientifique ? La science suffit-elle à diriger l'action ?
Extrait du document
«
Observation.
— Sans être tout à fait équivalents, ces deux sujets ont bien des points communs.
Nous les traitons
donc conjointement.
Position de la question.
Au cours du XIXe siècle et au début du XXe, le culte de la science, alors à son apogée,
avait amené à croire que la science suffit à diriger l'action humaine.
D'où plusieurs tentatives de « morale
scientifique n, qui furent une des manifestations du « scientisme ».
Mais une Morale peut-elle être purement
scientifique?
Les tentatives à rejeter.
A.
— Les plus résolument « scientistes » de ces tentatives furent celles qui s'appuyèrent sur la Biologie.
Sous
prétexte que l'homme est un être vivant et que son action est soumise, par conséquent, aux lois générales de la
vie, on prétendit lui appliquer purement et simplement ces lois, que ce fût celle de l'évolution, de la « lutte pour la
vie » ou, au contraire, de la « solidarité » qui règne dans les organismes vivants.
B.
— Toutes ces Morales péchaient par un vice essentiel, à savoir qu'elles méconnaissaient la spécificité propre du
fait moral, et même celle de l'être humain dont la caractéristique est précisément qu'il ne s'incline pas devant les
prétendues fatalités naturelles et qu'il s'efforce de les modifier conformément aux exigences de sa conscience, —
sans compter que les prémisses d'où elles partaient, étaient souvent d'ordre pseudo-scientifique plutôt
qu'empruntées à une science authentique.
L'étude objective de la moralité.
A.
— Mais il y a une tout autre façon d'aborder l'étude scientifique de la moralité.
En un sens, celle-ci constitue une
réalité objective : il existe indiscutablement des faits moraux.
Ceux-ci peuvent donc être étudiés scientifiquement, à
condition que l'on prenne soin de leur conserver leurs caractères spécifiques.
La réalité morale se présente ainsi
sous deux aspects : — 10 sous un aspect psychologique, à l'intérieur de la conscience : on peut donc faire la
psychologie de la vie morale; on peut étudier psychologiquement les concepts et les sentiments moraux et l'action
morale elle-même; — 2° sous un aspect sociologique : une sociologie, qui se garde de réduire la société à une sorte
de grand organisme et qui fait une juste place à l'aspect idéal de la vie sociale, ne peut manquer de reconnaître les
moeurs comme un élément essentiel de cette vie; d'où la constitution d'une science sociologique des moeurs.
B.
— La psychologie morale et la « science des moeurs » peuvent donc „être des disciplines scientifiques, employant
respectivement les méthodes de la psychologie et de la sociologie.
Mais on a prétendu en tirer — de la seconde
surtout — une véritable Morale qui se substituerait à la Morale théorique telle que l'ont conçue les philosophies
traditionnelles.
Faut-il aller jusque-là?
Insuffisance du point de vue scientifique.
En réalité, le point de vue scientifique est insuffisant :
A.
— Pratiquement : la Science ne suffit pas à diriger l'action, parce que l'homme n'est pas une pure intelligence;
même si la science était capable de lui démontrer en quoi consiste le bien moral, il resterait encore à le lui faire
aimer et vouloir.
B.
— El même théoriquement : il existe en effet une différence fondamentale de point de vue entre la Science et la
Morale.
La première se place exclusivement au point de vue positif; elle ne porte que des jugements de réalité; la
Morale est essentiellement normative; elle porte des jugements de valeur.
Le mot loi n'a pas le même sens dans la
Science et en Morale .
Par suite, la Science ne peut fournir que des moyens d'action (technique).
Mais nos fins, nos
buts d'action résultent d'un choix qui, sans certes être gratuit ni même étranger à l'intelligence et à la raison, doit
être fondé en fonction de la notion de valeur, donc philosophiquement et non scientifiquement.
La psychologie
morale et la « science des moeurs » peuvent donc rendre des services à la Morale, mais elles ne doivent pas
prétendre se substituer à elle.
Conclusion.
La Morale peut s'appuyer sur la Science, principalement sur la Psychologie et la Sociologie.
Mais elle ne
saurait être purement scientifique et ni théoriquement ni pratiquement la Science ne suffit à diriger l'action..
»
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