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Une langue universelle est-elle souhaitable ?

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« introduction a) La langue est ce qui unit les hommes, elle est aussi ce qui les sépare.

Car si la langue permet aux hommes de communiquer entre eux, la multiplicité des langues est une des principales entraves à la communication.

C'est pourquoi les hommes rêvent d'une langue universelle qui serait le ciment de l'humanité rétablie dans son unité, comme elle l'était, dit le mythe, avant que Dieu ne les dispersât en diversifiant leurs langues alors qu'ils travaillaient tous ensemble à conquérir les cieux en construisant la tour de Babel. b) Toutefois on peut se demander s'il est possible, et dans ce cas s'il est souhaitable (ou légitime), de créer une langue universelle. Remarque : distinguer langue et langage. • Il convient ici de ne pas confondre langue et langage : au sens large, le concept de langage englobe tout code, c'est-àdire tout système de signes, utilisé pour établir une communication.

Au sens restreint, il désigne la langue, qui est «le plus important de ces systèmes» (Saussure) et se caractérise par une double articulation.

Cf.

la définition de A.

Martinet : « Une langue est un instrument de communication selon lequel l'expérience humaine s'analyse, différemment dans chaque communauté, en unités douées d'un contenu sémantique et d'une expression phonique, les monèmes [= les morphèmes de la tradition linguistique américaine] ; cette expression phonique s'articule à son tour en unités distinctives et successives, les phonèmes, en nombre déterminé dans chaque langue, dont la nature et les rapports mutuels diffèrent eux aussi d'une langue à une autre» (Éléments de linguistique générale, 1-14). • II est évident que je puis créer un langage entendu au sens large, comme l'attestent les nombreux langages qui ont été inventés : langages gestuels, langages formels, langages symboliques ou langages de programmation (Fortran, Algol, par ex.), langages documentaires, etc.

(On prendra garde ici que des codes comme le morse, le braille, les pavillons à bras de la marine, ne sont pas des langages autonomes, mais des relais du langage articulé, tout comme l'écriture alphabétique). En revanche, la question se pose effectivement de savoir si je puis véritablement créer une langue, c'est-à-dire produire une langue radicalement nouvelle, une langue qui ne résulte pas de la modification ou de la transformation plus ou moins profonde d'une ou de plusieurs autres langues déjà données. 1) examen des langues artificielles a) Les deux systèmes • On peut classer les langues artificielles qui ont été imaginées en deux catégories. 1.

Les systèmes à priori : ils visent à instituer cette langue philosophique universelle dont rêva Descartes et qu'essaya d'élaborer, en vain, Leibniz.

Elle se fonde sur plusieurs postulats : qu'il existe une logique universelle, que les signifiés sont communs à tous les hommes, que les idées complexes sont des combinaisons d'idées simples.

Elle repose sur la possibilité d'une classification logique des idées, sur une analyse complète des connaissances.

Elle exige donc une connaissance parfaite et achevée des mondes physique et moral.

C'est pourquoi Descartes la connaissance et la raison disait : « n'espérez pas de la voir jamais en usage » (cf.

Lettre à Mersenne du 20 nov.

1629). 2.

Les systèmes a posteriori : ce sont les langues qui ont été élaborées dans un souci de simplification, de rationalisation et d'unification à partir d'une ou de plusieurs langues naturelles, généralement du groupe roman.

Telles sont, par exemple, la Langue nouvelle de Faignet (1765), la Pasilingua de Steiner (1885), l'Espéranto de Zamenhof (1887), l'Interlingua (1924-1951), etc.

En fait toutes ces langues artificielles a posteriori sont toujours plus ou moins inspirées par des considérations logiques a priori. • Il apparaît ainsi : - que les langues a posteriori ne sont pas de véritables créations, mais plutôt des adaptations de langues déjà existantes, tant du point de vue de la grammaire que du lexique; - qu'une véritable langue a priori, qui n'a encore jamais été réalisée (les tentatives de Dalgarno et Wilkins par exemple, n'était que des pasigraphies), pose plusieurs difficultés théoriques, qu'il nous faut préciser. b) L'emprise de la langue naturelle 1.

Au niveau sémantique :la linguistique contemporaine a pu montrer qu'une langue est «un système qui opère une sélection au travers et aux dépens de la réalité objective » (T.

Trier), et que le signifié n'est nullement indépendant du signifiant.

N'ayant aucun fondement logique ni psychologique, les signifiés ne peuvent être communs à tous les hommes : « ils ne correspondent ni à des essences objectives ni à des intentions subjectives qui auraient des motivations en dehors de la langue» (Ducrot-Todorov).

Dans ces conditions toute langue artificielle n'héritera-t-elle pas nécessairement ses signifiés d'une ou de plusieurs langues naturelles, à savoir de celles que connais sent son ou ses inventeurs ? En d'autres termes une langue artificielle ne sera-t-elle pas toujours sous-tendue par une langue empirique qu'elle « relaiera » ? 2.

Au niveau syntaxique, le même problème se pose.

Peut-on constituer une grammaire qui ne découle d'aucune grammaire particulière déjà existante ? La logique sur laquelle reposera la grammaire de la langue artificielle ne sera-t-elle pas fonction de la langue naturelle de son inventeur ? Par exemple la logique de référence de la langue universelle de Leibniz était la logique aristotélicienne du prédicat, qui était elle-même dictée par la langue grecque.

(Cf.

sur les catégories aristotéliciennes, E.

Benveniste, Problèmes de linguistique générale, I, chap.

6.) Ou faut-il admettre avec Chomsky l'existence d'une grammaire universelle fondée sur une logique universelle ? • D'une manière générale donc toute création d'une langue ne peut se faire qu'à partir d'une métalangue qui est une langue naturelle, et l'on voit mal comment celle-là ne pourrait échapper totalement à l'emprise de celle-ci, dont elle risque fort de ne constituer qu'un reflet.. »

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