Une langue parfaite est-elle possible ?
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Une langue parfaite est-elle possible ?
La fonction du langage semble être de communiquer. Communiquer, c'est-à-dire échanger, mettre en commun, rendre commun, c'est-à-dire rendre public ce qui d'abord était privé. Il s'agit de donner connaissance à autrui de ce qui m'est personnel, privé, intérieur, puisque appartenant au champ fermé de ma conscience. Les pensées sont incommunicables directement, de conscience à conscience. Ma pensée ne peut être connue d'autrui qu'indirectement, par la médiation du langage. Communiquer consiste donc à traduire la pensée en mots pour la transmettre à autrui. Communiquer, c'est transmettre un message. La communication peut être pensée sur le modèle de la transmission entre un émetteur et un récepteur. Le langage serait donc le véhicule, ou l'instrument de la pensée. C'est la conception la plus commune du rapport entre le langage et la pensée: le langage est un instrument au service de la pensée. Certaines expressions courantes sont révélatrices de cette conception instrumentaliste: on dit que les mots "traduisent" notre pensée, ce qui suppose que la pensée est déjà là, avant l'expression. Ou encore, on dit que l'on "cherche ses mots", comme si l'on avait une idée, sans trouver le mot qui lui correspond. La pensée, donc, préexisterait au langage, les idées précéderaient les mots. Ne pas trouver le mot adéquat suscite un sentiment d'agacement, voire d'hostilité contre cet outil imparfait qu'est le langage. Le langage a pour fonction de communiquer un message. Le but est d'arriver à une transmission aussi claire que possible. Mais elle n'est jamais absolument transparente. Toute transmission d'information subit des pertes, des déformations. Le langage, instrument au service de la pensée, n'est pas toujours fidèle à mon intention. C'est un outil imparfait, car les mots trahissent nos intentions, ils déforment notre pensée. Cette imperfection peut-elle être surmontée, ou est-elle sans remède? Est-elle accidentelle, ou essentielle - alors, le langage serait imparfait par nature?
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Introduction:
La fonction du langage semble être de communiquer.
Communiquer, c'est-à-dire échanger, mettre en commun,
rendre commun, c'est-à-dire rendre public ce qui d'abord était privé.
Il s'agit de donner connaissance à autrui de ce
qui m'est personnel, privé, intérieur, puisque appartenant au champ fermé de ma conscience.
Les pensées sont
incommunicables directement, de conscience à conscience.
Ma pensée ne peut être connue d'autrui
qu'indirectement, par la médiation du langage.
Communiquer consiste donc à traduire la pensée en mots pour la
transmettre à autrui.
Communiquer, c'est transmettre un message.
La communication peut être pensée sur le
modèle de la transmission entre un émetteur et un récepteur.
Le langage serait donc le véhicule, ou l'instrument de
la pensée.
C'est la conception la plus commune du rapport entre le langage et la pensée: le langage est un
instrument au service de la pensée.
Certaines expressions courantes sont révélatrices de cette conception
instrumentaliste: on dit que les mots "traduisent" notre pensée, ce qui suppose que la pensée est déjà là, avant
l'expression.
Ou encore, on dit que l'on "cherche ses mots", comme si l'on avait une idée, sans trouver le mot qui lui
correspond.
La pensée, donc, préexisterait au langage, les idées précéderaient les mots.
Ne pas trouver le mot
adéquat suscite un sentiment d'agacement, voire d'hostilité contre cet outil imparfait qu'est le langage.
Le langage
a pour fonction de communiquer un message.
Le but est d'arriver à une transmission aussi claire que possible.
Mais
elle n'est jamais absolument transparente.
Toute transmission d'information subit des pertes, des déformations.
Le
langage, instrument au service de la pensée, n'est pas toujours fidèle à mon intention.
C'est un outil imparfait, car
les mots trahissent nos intentions, ils déforment notre pensée.
Cette imperfection peut-elle être surmontée, ou estelle sans remède? Est-elle accidentelle, ou essentielle - alors, le langage serait imparfait par nature?
I.
"Il faut se méfier des mots"
[Note 1]
Les mots ne correspondent pas toujours à nos pensées, parce que la langue est une œuvre collective, forgée au
cours des siècles passés, et commune à tous, tandis que notre pensée est personnelle.
Les mots de tout le monde
ne conviennent pas toujours à mes pensées, je n'y peux rien, c'est inévitable.
1.
La généralité du concept
Les mots ont pour défaut leur trop grande généralité.
En particulier les noms communs.
Comme leur nom l'indique, ils
sont communs à plusieurs choses.
Le nom propre, lui, est propre à un être, il n'appartient qu'à lui.
Le nom commun,
en revanche, convient à tous les êtres de la même espèce.
Au nom commun correspond une idée générale, une
essence, un concept, ou, comme dirait Platon, une Idée.
Le concept regroupe tous les traits essentiels communs à
tous les êtres d'une même espèce.
Le nom commun, donc, ne retient que ce qu'il y a de commun.
Il gomme la
spécificité, l'originalité de chaque être singulier.
Les différences singulières, accidentelles, sont passées sous silence.
Si je désigne cet arbre-ci, cet arbre unique, dont un poète saurait décrire l'originalité, du nom générique d'arbre, je
ne dis rien de lui, je le confonds avec tous les autres.
Le problème se posera tout spécialement quand il s'agira de
décrire quelque chose de particulièrement original, de tout à fait singulier.
Par exemple une sensation ou un
sentiment.
Chaque histoire d'amour est unique pour ceux qui la vivent.
Mais rien n'est plus banal que les mots "je
t'aime".
Le langage semble impuissant à exprimer l'unique, à cause de la généralité des mots.
En décrivant un
sentiment unique à l'aide de mots, je le ramène à du déjà connu, du déjà éprouvé.
Le mot de "colère" exprime un
concept général, commun à une multitude de sentiments et de personnes.
Le seul fait de nommer une chose conduit
à en méconnaître la singularité pour la rapporter à un ensemble général.
Je la compare, pour en retenir seulement ce
qu'elle a de semblable avec d'autres.
"Aussi certainement qu'une feuille n'est jamais tout à fait identique à une
autre, aussi certainement le concept feuille a été formé grâce à l'abandon délibéré de ces différences individuelles"
(Nietzsche, le Livre du philosophe).
Les mots sont comme des vêtements en prêt-à-porter, alors que pour décrire
une expérience personnelle, il faudrait du sur-mesure.
Ils sont mal taillés, trop généraux, trop larges pour épouser
fidèlement les contours de la réalité à restituer.
Le concept ne convient pas pour décrire une réalité singulière.
Il est
toujours en dessous de l'intuition.
C'est dans l'Introduction à la métaphysique[Note 2] que Bergson distingue le
concept de l'intuition.
L'intuition consiste à coïncider avec ce qui est à décrire, à le connaître de l'intérieur.
Ce type
de connaissance est possible lorsque l'objet à connaître est moi-même.
L'intuition est alors directe, immédiate,
comme le cogito.
En revanche, la description par concepts se fera par étapes, par esquisses, si bien qu'elle sera
toujours approximative, jamais achevée.
Si je veux évoquer l'atmosphère des rues de Paris à un ami qui ne connaît
pas la capitale, il me faudra multiplier les concepts, en accumulant les remarques, en procédant par touches
successives.
Mais ce travail restera incomplet, car il n'égalera jamais l'impression vécue.
Il est donc difficile de.
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