Une langue humaine sert-elle, essentiellement et uniquement, à communiquer ?
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Une langue humaine sert-elle, essentiellement et uniquement, à communiquer ?
Parler, c'est communiquer
Il est évident que la fonction fondamentale d'une langue est de communiquer, encore que cette «fonction de
communication» recouvre en réalité plusieurs fonctions, comme l'a montré l'analyse classique de R.
Jakobson (cf.
Essais de linguistique générale), qui distingue six grandes fonctions du langage, selon les rapports entretenus par le
message avec les différentes composantes d'une situation de communication, à savoir le locuteur (celui qui parle),
l'auditeur, le message, le réfèrent :
1) Fonction référentielle : le message informe sur l'objet auquel il réfère (ex.
:«la mer est calme»).
2) Fonction émotive : le message exprime l'état du locuteur «émetteur» (ex.
«c'est bouleversant»).
3) Fonction conative: le message permet d'agir sur l'auditeur(ex.
«tais-toi»).
4) Fonction poétique : le message porte sur lui-même, sur sa forme (ex.
: «Aboli bibelot d'inanité sonore»
[Mallarmé]).
5) Fonction phatique : le message a pour fin de vérifier, ouvrir ou interrompre la communication : (ex.
«allô ?»)
6) Fonction métalinguistique : le message porte sur le langage lui-même (ex.
«je est un pronom»).
Ces fonctions peuvent évidemment être plus ou moins mêlées dans un même message.
Parler, c'est aussi agir
• On considère habituellement que dire quelque chose, c'est toujours simplement communiquer un message en
affirmant quelque chose : les énoncés seraient toujours des affirmations dont on peut dire qu'ils sont vrais ou faux
selon qu'ils correspondent à la réalité.
Par exemple, l'énoncé «je bois un café» est vrai si je bois effectivement un
café, faux si je n'en bois pas.
Mais le linguiste et philosophe anglais J.
L.
Austin (cf.
Quand dire, c'est faire)a fait
observer que certains énoncés ne sont ni vrais ni faux, car ils ne décrivent rien, mais sont les actions qu'ils
énoncent.
Ils ne décrivent pas quelque chose, mais font quelque chose, sans donc être ni vrais ni faux, tout comme
lorsque je bois un café, mon acte de boire un café n'est en lui-même ni vrai ni faux : il est ; c'est un fait.
Si nous
considérons par exemple l'énoncé : «Je promets de dire toute la vérité», nous voyons qu'en prononçant ces mots, je
ne décris rien mais j'accomplis un acte: je fais un serment.
Ce serment n'est ni vrai ni faux, c'est un serment (je puis
parla suite y être fidèle ou non, cela ne change rien au fait que c'est un serment).
• Aussi Austin est-il conduit à distinguer deux sortes d'énoncés : – Les énoncés constatifs qui décrivent un
phénomène (ex.
: «le ciel est bleu», «je suis heureux », «deux et deux font quatre »).
– Les énoncés performatifs dont l'énonciation énonce une action du locuteur en même temps qu'elle l'accomplit (ex.
: «je jure que...», «j'exige que ...», «je parie que...», «je te baptise ...»).
C'est pourquoi ces énoncés sont toujours
à la première personne du singulier de l'indicatif présent, voix active.
• Il apparaît donc que, dans les cas de discours performatifs, la fonction essentielle du langage n'est pas
uniquement de communiquer, c'est aussi de faire.
Agir sur autrui et le faire agir
Cette appréhension du langage comme acte peut être étendue à tous les discours, même les discours constatifs.
En
effet aucun discours n'est une simple communication, mais tout discours nécessairement engage plus ou moins le
locuteur et influe plus ou moins sur l'interlocuteur.
• Commander à autrui
Que le langage soit moyen d'agir sur autrui et de le faire agir (réagir), cela est manifeste dans les ordres, dans les
commandements, et ceux qui ont réfléchi sur l'origine du langage ont souligné ce caractère fondamental : les
langages des animaux sont en effet essentiellement constitués de signaux ayant pour finalité de déterminer une
réaction immédiate du récepteur, par exemple la fuite ; par ailleurs, si l'apparition du langage humain est lié à celle
du travail, ce serait parce que le travail collectif exige une organisation et donc des ordres pour la répartition des
tâches et leur exécution, ne serait-ce que de simples cris permettant de scander et de coordonner une action et un
effort collectifs.
• Manipuler autrui
Cependant, l'utilisation du langage comme moyen d'action sur autrui peut être plus insidieuse.
L'ordre, le
commandement peut laisser la place à la persuasion, et, sous sa forme la plus haute, «l'ouvrière de la persuasion,
comme l'a souligné Platon dans sa critique des sophistes, c'est l'éloquence, c'est la rhétorique (Gorgias, 453 a).
Le langage est la condition de la pensée
• Ce qui caractérise le langage humain, c'est sa dimension symbolique : «Le pas décisif vers l'humanité, observe R.
Ruyer, est franchi lorsque le signal-stimulus [de l'animal] devient signe-symbole, c'est-à-dire lorsqu'il est compris
non plus comme annonçant ou indiquant un objet ou une situation voisine ou prochaine, mais comme pouvant être
utile en lui-même, pour concevoir l'objet même en l'absence de cet objet» (L'animal, l'homme, la fonction
symbolique, p.
94).
Parce que son langage est symbolique, l'homme ne se limite pas, comme l'animal, à signaler de
manière stéréotypée quelque chose à ses congénères, mais il peut leur parler et se parler de n'importe quelle chose.
Par le langage l'homme peut représenter à autrui et se représenter n'importe quel objet ou situation dans le monde.
En d'autre termes, grâce à cet appareil symbolique que constitue le langage, l'homme peut rompre avec l'adaptation.
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