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Une existence se démontre-t-elle ?

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« [Introduction] C'est parce que la philosophie entend être l'exercice d'une pensée rigoureuse que sa réflexion prend volontiers un aspect démonstratif et systématique.

Mais tout est-il démontrable ? Ne doit-on pas admettre en particulier que l'existence est d'un ordre qui ne se prête pas à un traitement logique ? Malgré les tentatives effectuées pour démontrer l'existence de Dieu, on doit reconnaître, au moins d'un point de vue historique, qu'aucune de ces démonstrations n'est véritablement convaincante.

Admettrait-on même que l'existence de Dieu est différente des autres, la question mérite d'être posée de savoir si une existence, quelle qu'elle soit, peut être authentiquement démontrée. [I.

Modèle de la démonstration] Pour la philosophie, il y a longtemps que la démonstration mathématique apparaît comme un modèle de rigueur, mais aussi, plus généralement, comme le modèle possible de ce que pourrait, ou même devrait, être le discours philosophique lui-même.

Déjà Platon, lorsqu'il en définit la démarche comme procédant « par hypothèse », signale la source de sa rigueur : c'est précisément dans la mesure où l'hypothèse à partir de laquelle s'élabore la démonstration n'a pas besoin d'être éprouvée que le raisonnement peut se déployer comme l'espace d'une nécessité dont c'est bien la raison elle-même qui décide.

Descartes soulignera à son tour que la certitude que l'on rencontre en mathématiques provient du fait que la pensée n'y est en rien freinée ou perturbée par les références à l'empirique (à la perception des choses telles qu'elles existent dans leur variété, et avec leurs qualités non essentielles) ; et c'est finalement Kant qui précisera, dans son vocabulaire, appelé à être ultérieurement adopté par toute une tradition philosophique, que les mathématiques se distinguent des autres modes de savoir par leur caractère entièrement a priori. Lorsque Spinoza rédige l'Éthique more geometrico (« à la façon des géomètres »), on comprend qu'il s'agit pour la philosophie de s e rapprocher au plus près d e ce modèle démonstratif dont les mathématiques montrent l'efficacité.

Aussi isole-t-il, comme dans tout système hypothético-déductif, ses axiomes, postulats et définitions initiales, puisqu'il faut bien que la démonstration s'effectue à partir de points de départ.

La tentative spinoziste a sans doute l'avantage de révéler, rétrospectivement, que tout système philosophique repose semblablement sur des points de départ plus ou moins explicités : il y a des postulats fondateurs du platonisme comme d e l'aristotélisme, c'est-à-dire des propositions indémontrables à partir desquelles les différents systèmes peuvent s'élaborer par déduction. Ainsi, lorsque Platon affirme qu'au-delà du raisonnement « par hypothèse » des mathématiciens, l'esprit doit se déployer de manière « anhypothétique » pour entrer en contact avec les « Idées » par une pure intuition rationnelle, il apparaît que l'existence m ê m e de ces « Idées » est hors d e portée d'une démonstration, dans la mesure où elle est affirmée comme résultant d'une « croyance » ou d'une intuition » (pourquoi pas d'un pari ?) du philosophe lui-même.

C'est ce dont l'existence même fonde le système dans sa totalité qui est indémontrable.

S'agit-il là d'un « défaut » particulier à Platon, ou est-ce parce que l'existence d e ces « Idées », comme toute autre existence, est en effet radicalement indémontrable ? [II.

L'existence se constate] Un premier élément de réponse est suggéré par les « objets » mathématiques eux-mêmes : plus on les inscrit dans des démarches démonstratives, plus on souligne leur nature a priori, c'est-à-dire indépendante de toute expérience. L'ensemble des argumentations qui les concernent ne leur confère qu'une « existence théorique », à titre d e notions purement rationnelles, mais aucunement susceptibles d'être empiriquement perçues. Or, lorsqu'on évoque l'existence d'un objet ordinaire, on semble au contraire désigner dans cet objet un rapport fondamental à la perception (c'est ce que suggère l'étymologie : l'objet est « jeté » ou placé devant moi, tel que je peux en effet le percevoir), et ce rapport ne ressemble pas du tout à ce qu'implique une conception purement rationnelle.

C'est bien ainsi que l'entend Kant, lorsque, contestant la portée de l'argument ontologique dont Descartes avait admis qu'il suffit pour démontrer authentiquement l'existence de Dieu, il rappelle que toute affirmation d'existence relève d'un constat empirique.

Cela signifie bien qu'il ne suffit aucune-ment de concevoir une existence comme possible, c'est-à-dire conforme aux conditions générales de manifestation de tout objet dans l'espace et dans le temps : pour affirmer une existence, il faut que sa présence soit sensiblement éprouvée dans cet espace et dans ce temps. La question de la démonstration de l'existence de Dieu peut servir d'exemple crucial dès qu'il s'agit de démontrer l'existence des notions métaphysiques en général.

L'adjectif qui les qualifie (méta ta phusika : « au-delà des choses physiques ») indique qu'elles sont par définition hors de toute expérience, et Kant a également montré que, pour ce qui est de Dieu, de l'âme et du monde, les démonstrations concevables ne sont en rien décisives, puisqu'elles ne constituent que les antinomies de la raison.

On sait la conséquence qu'il en déduit : de telles existences devront être postulées en fonction des exigences de la raison pratique (afin que la moralité présente une cohérence sans faille), ce qui indique, par définition, qu'elles ne peuvent être démontrées. « L'existence est le récif sur lequel la pensée pure fait naufrage.

» Kierkegaard, Post-scriptum aux Miettes philosophiques, 1846. Kierkegaard souligne ici l'incapacité de la pensée abstraite à saisir notre vécu existentiel dans ce qu'il a précisément de concret, d'unique, de complexe et, au bout du compte, d'irréductible à toute catégorie. « Exister, c'est quelque chose; cela écrase toutes les raisons.

[...] Aucune raison ne peut donner l'existence, aucune existence ne peut donner ses raisons.

» Alain, Propos du 1er avril 1908.. »

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