Une conscience peut-elle être totale ?
Extrait du document
«
L'idée d'une conscience totale est difficilement représentable pour l'esprit.
La conscience est à la fois la seule réalité
psychique qui nous est présente à l'esprit, quelque chose qui nous habite entièrement.
Il est difficile de concevoir
un ailleurs, une autre perception de nous-mêmes que par l'intermédiaire de la conscience.
La conscience apparaît
comme une totalité, comme une présence actuelle.
Mais est-ce réellement notre réalité psychique, est-ce possible
de tout percevoir, d'être conscient de tout ce qui se passe dans notre esprit ? L'omniscience n'est-elle pas
l'apanage du divin ?
1) La conscience remplie la totalité de la vie psychique.
Être conscient, dans le sens le plus généralement et aisément admis, c'est avoir conscience d'une expérience
actuellement vécue.
Cet aspect de la conscience est certainement le moins contesté pour être le plus évident.
Il
est accepté, par exemple, aussi bien par un philosophe comme K.
Jaspers, qui écrit : « La conscience est la totalité
du moment [...] la totalité de la vie psychique actuelle » La constitution de la conscience en champ d'actualité
étant la moins récusable, c'est bien à l'expérience vécue que l'on pense généralement lorsqu'on entend saisir
l'essentiel de l'activité de conscience.
Ce champ de la conscience est donc rempli à chaque moment du temps de
l'expérience actuellement vécue.
Aussi, la conscience serait l'ensemble de la vie psychique à chaque moment de la
vie.
On peut par exemple avoir conscience de son passé ou de son avenir.
Dans ce cas, la conscience ne peut être
que totale, enfin dans ce sens, où il n'y aurait pas un ailleurs de la vie psychique.
En d'autres termes, la conscience
serait les processus psychiques en acte dans notre esprit.
Mais cela serait limiter la réflexion aux portes des
processus inconscients, ne pas voir ce qui peut diriger en sous-main la conscience, ce qui peut diriger notre
conscience contre notre perception et contre notre gré.
2)L'existence d'un inconscient.
C'est d'abord à travers la pratique de l'hypnose (1887) que se révèle à Freud l'impossibilité d'identifier psychique et
conscient.
Lorsque des ordres sont donnés à un sujet hypnotisé et qu'il s'y soumet après son réveil, c'est bien la
preuve que la parole du médecin a mis en branle un certain nombre de mécanismes sans que le malade en sache
rien.
Quelque chose qui échappe totalement à la conscience entre donc ici en jeu et produit des effets.
Bien plus,
lorsqu'un malade, une hystérique par exemple, est interrogé sous hypnose sur les causes de son mal, il peut évoquer
certains événements traumatiques, origine des symptômes, et se trouver par là guéri, bien qu'il ne se souvienne plus
d'avoir parlé lorsqu'il se réveille.
On est donc ici en présence de processus psychiques inconscients dont la réalité
est rendue suffisamment manifeste par leur efficacité.
Le fait qu'ils soient liés à la parole conduit Freud, à partir
d'expériences que lui communique Josef Breuer (1893), à abandonner l'hypnose dont les résultats se révèlent
souvent peu durables et à mettre au point une nouvelle méthode, celle de l'association libre.
On demande au malade
de dire tout ce qui lui vient à l'esprit sans choisir, sans rien cacher, sans faire intervenir son jugement critique ;
bientôt apparaissent des événements totalement oubliés et dont il était incapable de se souvenir lorsque sa
conscience était vigilante.
Par la parole ainsi libérée, autant qu'il est possible, du contrôle conscient, les faits
traumatiques, source de la maladie, viennent au jour et les symptômes se dissolvent.
À l'oreille de l'homme dit
normal, les propos tenus, lorsqu'il est laissé libre cours au jeu des associations, paraissent incohérents et sans
signification.
Ce sont eux pourtant, jugés inutiles ou ridicules par le patient lui-même, qui permettent de défaire les
nœuds et entremêlements névrotiques.
Pour Freud c'était donc la preuve que quelque chose est à l'œuvre dans le
psychisme, indépendant de la conscience et qui produit des effets pathologiques, dont le patient peut être délivré,
si on réussit à faire parler ce quelque chose en tournant les résistances et les défenses de la conscience.
Mais par
l'abandon de l'hypnose (où les symptômes sont mis au jour sans être véritablement défaits) et son remplacement
par la pratique de l'association libre, Freud montrait également que la cure, pour être durablement efficace, devait
se faire avec la collaboration du patient et non dans un état de passivité totale.
Il fallait que la conscience
acceptât d'entendre cet inconscient que, dans les circonstances normales, elle fait taire systématiquement.
3) L'aporie de la conscience totale.
On comprend qu'une conscience ne peut percevoir en même temps l'ensemble de sa vie psychique.
La vie serait
insupportable si nous étions conscients des moindres tressaillements de notre inconscient.
La topique freudienne a
bien mise au jour le système de notre psychè.
Le moi et le surmoi faisant figure de soupape de sécurité pour que la
vie humaine et sociale soit tout simplement possible.
La conscience totale, c'est aussi l'omniscience à l'exemple de
ce qu'on trouve en littérature.
Un auteur omniscient, connaît non seulement les événements de l'intrigue, mais
encore ce qui se passe dans l'âme de chacun de ses personnages (c'est la technique utilisée par les romans
classiques ou conventionnels) ; la position du lecteur souverain, qui est faite à tout lecteur d'un roman par lettres,
puisqu'il dispose des éléments qu'aucun des personnages fictifs ne possède en leur totalité.
L'auteur omniscient
prend la place de Dieu, qui ne rencontre aucune limite, il a connaissance de tout ce qui passe dans l'esprit des
hommes au même moment.
On ne peut concevoir de ce fait une conscience humaine qui soit totale, car autrement
elle serait divine.
Conclusion.
La découverte de l'inconscient a mis à mal notre croyance dans le pouvoir que l'on peut posséder sur nous-même.
Mais la conscience n'est pas le lieu de la connaissance de l'entièreté des processus psychiques, elle n'est peut être
qu'un épiphénomène de ce qui se passe en nous, que le reflet de la vie somatique, végétative.
Il est plus
souhaitable pour nous de ne pas être au courant de ses profondeurs et de ne pas chercher un point de vue.
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