« Un voyage, c'est trois voyages, trois étapes de la pensée : c'est d'abord ce qu'on a désiré, pressenti et, malgré soi, avant le départ, appelé; c'est sur place les choses vues. Et puis c'est, après le retour, ce que nous retenons, ce qui est vraiment d
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Introduction. — Tandis que l'animal est confiné dans le présent, l'homme, s'abstrayant de l'instant actuel, peut revivre son passé par la mémoire et imaginer son avenir. Aussi toutes ses actions de quelque importance l'occupent-elles longtemps avant qu'il les exécute et longtemps après qu'elles ont été accomplies. C'est en particulier le cas d'un voyage dont Barrés a dit que «c'est trois voyages». Arrêtons-nous à chacune de ces « trois étapes de la pensée ». Ensuite, nous tâcherons de voir laquelle des trois présente le plus grand attrait.
I. Les trois voyages. — Il n'est pas nécessaire, pour analyser les activités complexes mises en jeu chez le voyageur, d'imaginer ou de se rappeler quelque long périple autour d'un continent ni même un voyage en pays étranger; surtout pour des jeunes qui ne sont pas encore blasés, il suffit d'un déplacement de médiocre importance qui fournisse l'occasion de voir quelque chose de nouveau. Aussi nous contenterons-nous, au cours de notre analyse, de songer à la quinzaine ou au mois qu'une famille citadine va passer, pendant les vacances, loin de la ville.
«
« Un voyage, c'est trois voyages, trois étapes de la pensée : c'est d'abord ce qu'on a désiré, pressenti et, malgré
soi, avant le départ, appelé; c'est sur place les choses vues.
Et puis c'est, après le retour, ce que nous retenons,
ce qui est vraiment demeuré en nous d'une telle expérience.
» Que pensez-vous de cette définition du voyage
donnée par Maurice Barrés ? Lequel de ces trois voyages présente le plus d'attrait ?
Introduction.
— Tandis que l'animal est confiné dans le présent, l'homme, s'abstrayant de l'instant actuel, peut
revivre son passé par la mémoire et imaginer son avenir.
Aussi toutes ses actions de quelque importance l'occupentelles longtemps avant qu'il les exécute et longtemps après qu'elles ont été accomplies.
C'est en particulier le cas
d'un voyage dont Barrés a dit que «c'est trois voyages».
Arrêtons-nous à chacune de ces « trois étapes de la
pensée ».
Ensuite, nous tâcherons de voir laquelle des trois présente le plus grand attrait.
I.
Les trois voyages.
— Il n'est pas nécessaire, pour analyser les activités complexes mises en jeu chez le
voyageur, d'imaginer ou de se rappeler quelque long périple autour d'un continent ni même un voyage en pays
étranger; surtout pour des jeunes qui ne sont pas encore blasés, il suffit d'un déplacement de médiocre importance
qui fournisse l'occasion de voir quelque chose de nouveau.
Aussi nous contenterons-nous, au cours de notre
analyse, de songer à la quinzaine ou au mois qu'une famille citadine va passer, pendant les vacances, loin de la ville.
A.
Avant.
— a) Il faut d'abord, dans bien des cas, faire le choix du lieu de villégiature; ceux qui possèdent un piedà-terre où ils descendent toujours font eux aussi des plans relatifs à l'emploi des prochaines vacances.
On y songe
déjà à peine rentré tout en se rappelant les semaines passées, se proposant de faire mieux encore; mais vers le
milieu de l'année, c'est la pensée de l'avenir qui l'emporte, car il s'agit de décider.
Cette décision d'ailleurs n'arrête
pas le travail de l'imagination, car elle ne fixe qu'un cadre général dans lequel on pourra mettre bien des choses
différentes suivant les goûts du moment et suivant les circonstances.
b) Tout voyage demande une préparation.
Si un oncle généreux m'offrait une croisière en Méditerranée pour me
permettre de faire un pèlerinage dans les grands centres où naquit la civilisation gréco-latine, je passerais de
longues heures à me préparer intellectuellement à profiter des spectacles qu'il me serait donné de contempler.
Mais
il n'est pas nécessaire d'avoir la perspective d'une telle odyssée pour mettre l'esprit en branle : dans la moindre ville,
il y a quelque chose à voir; je m'en informe, interrogeant ceux qui la connaissent, consultant le dictionnaire, un
guide, le plan; j'étudie le trajet, notant d'après la carte la configuration du sol, les cours d'eau traversés, le genre
de culture; si je dois voyager en chemin de fer, je compulse l'horaire, cherchant la combinaison la plus avantageuse,
et longtemps avant le jour du départ je sais, non seulement à quelle heure mon train démarrera et à quelle heure je
débarquerai à la gare terminus, mais encore à quelle heure je traverserai les principales villes situées sur mon
itinéraire; aussi, en commençant ma version, je me dis : « A cette heure-ci, dans un mois, dans huit jours, ou
après-demain, je serai en gare d'Orléans »; et, quand j'ai fini, je pense : « Et maintenant je serai à Vierzon.
» Ainsi,
c'est vingt fois que je ferai en esprit ce voyage qui- ne sera fait effectivement qu'une fois.
Si cette préparation intellectuelle est inutile pour un voyage devenu habituel, il n'en est pas de même de la
préparation matérielle : habits, linge et chaussures, sans doute, mais aussi tant de choses qui peuvent être utiles
au moment où on n'y songe pas : il faut prévoir des excursions, des bains, des heures creuses, durant lesquelles on
sera content d'avoir sous la main un livre intéressant, des jeux d'intérieur pour les jours de pluie...
Ce sont les
mamans, providence des familles, qui songent à tout cela, mais tous les avis sont autorisés.
Enfin, encombré de valises, on s'entasse dans l'auto ou dans le compartiment; la portière claque, on part.
B.
Pendant.
— a) L'aller donne l'impression d'une rupture avec le passé.
Surtout si on voyage en chemin de fer, on
se trouve jeté au milieu d'inconnus avec lesquels, si le trajet est un peu long, on est amené à faire plus ou moins
connaissance; on prend ainsi contact avec des hommes qui manifestent des intérêts tout différents de ceux que
l'on a soi-même.
En moins d'une heure, on se trouve dépaysé, ne jugeant plus de l'endroit où l'on se trouve que par
les centres importants que l'on vient de traverser; aussi est-ce, quand on n'est pas distrait par les conversations,
une découverte incessante.
b) Le séjour se présente fort différemment, suivant qu'il est habituel ou nouveau.
Dans le premier cas, le grand
charme est de retrouver le connu, hommes et choses.
Dans le second cas, on éprouve un sentiment pénible d'être
jeté en pays hostile; la famille se ferme sur elle-même jusqu'à ce qu'elle se soit familiarisée avec les lieux et avec
leurs habitants, mais c'est bien le plus doux plaisir de ces villégiatures que les premières rencontres avec ceux qui
deviendront de véritables amis.
On se fait peu à peu une autre société habituelle à laquelle on se donne avec
d'autant plus d'abandon qu'on la sait éphémère et qu'on a l'impression confuse de ne pas s'engager à grand'chose.
Aussi ne se sépare-t-on pas sans quelque regret.
c) Durant le retour, on se sent un peu las de l'agitation un peu artificielle des semaines de vacances, qui ne
constituent qu'une parenthèse dans la vraie vie qui va recommencer demain, mais cela ne suffit pas à faire taire
tout regret : si la maison paraît plus accueillante que l'hôtel, il lui manque le charme de la nouveauté.
C.
Après.
— Une fois rentré chez lui et rendu à ses occupations habituelles, le voyageur revient en imagination aux
paysages qu'il a contemplés, aux événements auxquels il a pris part, aux personnes avec lesquelles il a lié
connaissance.
Comme il revoit d'un coup d'œil instantané ce qui s'échelonna sur plusieurs semaines, il a une vive
impression de vacances extraordinairement remplies.
Il a oublié les heures d'ennui de certaines soirées creuses ou de
conversations avec un bavard intarissable.
Il s'est .
produit dans sa mémoire un phénomène de décantation qui ne
laisse surnager que le meilleur.
Ce meilleur, du reste, se précise et s'embellit.
Il est rare en effet que nous prenions immédiatement une conscience
exacte de ce que nous percevons : un certain temps d'incubation est nécessaire, de même qu'une plaque
impressionnée a besoin de séjourner quelques minutes dans le révélateur pour que l'image apparaisse avec tous ses.
»
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