Un monde sans justice est-il humain ?
Extrait du document
«
[Introduction]
La justice est l'application de la loi.
Mais de quelle loi ? la loi de la nature, la loi humaine ? Peut-on penser que le
cosmos porte en soi, indépendamment de l'homme, une justice, ou la justice n'appartient-elle qu'à l'homme, n'a-telle de sens qu'érigée par la raison humaine ?
[I - Le monde naturel n'est pas dépourvu de justice]
Dans le monde naturel où règne la loi biologique, la seule règle est de survivre.
Le droit naturel s'identifie ainsi à la
puissance d'agir et on peut supposer que le monde possède une justice, celle du « droit du plus fort » comme l'a
posée Hobbes.
Les jugements de valeur sont inutiles : le droit de chacun est mesuré par sa puissance : tout ce qui
est possible est permis.
Dans ces conditions, « l'homme est un loup pour l'homme » et chacun vit dans la peur et
l'angoisse de la mort.
« Le peuple romain, peu équitable envers les rois à
cause de la mémoire des Tarquins et des institutions
de la cité, disait, par la bouche de Caton le
Censeur, que tous les rois appartenaient à l'espèce
des animaux rapaces.
Mais le peuple romain luimême, qui a pillé presque toute la terre par les
Africains, les Asiatiques, les Macédoniques, les
Achaiques et tous les autres citoyens dont le surnom
venait des nations spoliées, quelle formidable bête
était-il donc ? C'est pourquoi Pontius Telesinus n'a
pas parlé moins sagement que Caton.
Au moment du
combat contre Sylla près de la Porte Colline,
parcourant les rangs de son armée, il cria qu'il
fallait raser et détruire Rome elle-même et ajouta
qu'il y aurait toujours des loups pour ravir la
liberté de l'Italie si la forêt dans laquelle ils
avaient coutume de se réfugier n'était pas abattue.
Et il est également vrai de dire que l'homme est un
Dieu pour l'homme et que l'homme est un loup pour l'homme.
La première
formule vaut si nous comparons les citoyens d'une même cité, la seconde si
nous comparons les cités.
Là, en pratiquant la justice et la charité, les
vertus de la paix, on accède à la ressemblance de Dieu ; ici, à cause de la
dépravation des méchants, même les gens de bien doivent recourir, s'ils
veulent se protéger, aux vertus de la guerre, la force et la ruse, c'est-àdire la rapacité des bêtes sauvages.
Cette rapacité, les hommes se l'imputent
mutuellement à outrage, à cause d'une coutume née avec eux qui leur fait se
représenter leurs actions dans la personne des autres comme dans un miroir où
ce qui est à gauche est estimé à droite et ce qui est à droite est estimé à
gauche, mais pourtant le droit naturel qui dérive de la nécessité de se
préserver ne permet pas qu'elle soit un vice.
»
Hobbes, « De Cive » .
« Homo homini Lupus ».
La formule donne lieu à des contresens: on oublie que
Hobbes commence par « Homo homini Deus » ; on croit que les rapports
d'hostilité entre les cités et entre les hommes sont dus au loup qui
sommeille en chacun.
Or, dans l'analyse de l'état de guerre, la bestialité
est conséquence et non cause: autant les armes humaines surpassent celles des
bêtes, « autant l'homme surpasse en rapacité et en fureur les loups, les ours.
»
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