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Un maître est-il un sauveur ?

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« Si notre individualité et notre rapport à une vérité universelle reconnaissent des maîtres, y a-t-il quelque chose de nous qui échappe à la présence d'un maître? Ce ne peut être que notre liberté car celle-ci se détruit dès lors qu'elle se soumet.

En est-il bien ainsi cependant? N'y a-t-il pas des cas où il est légitime de reconnaître un maître à notre liberté? Par exemple, je choisis d'obéir à la volonté d'un autre.

Pourtant la personne à qui j'obéis ne doit pas pour autant être considérée comme un maître : je ne lui cède pas ma liberté, mon pouvoir de décider de moi-même.

Si j'obéis à un « supérieur » hiérarchique, tant que je suis d'accord sur le but poursuivi et tant que je pense que ce type d'organisation hiérarchique est le plus à même de réaliser ce but, il n'y a pas là négation de ma liberté ni existence d'un maître. Il en va ainsi à propos des lois.

En obéissant aux lois, je ne suis asservi à aucun maître.

Rousseau montre, dans le Contrat social, comment la liberté est au seul fondement de la loi.

En raison des conflits perpétuels qui déchirent les hommes, je ne peux obtenir durablement les biens que je désire.

Je suis sans cesse menacé dans ma vie, dans mes biens.

Mes désirs ne peuvent dès lors trouver une satisfaction que par la protection des lois.

La restriction de la liberté dans la loi n'est donc pas une soumission à un maître, mais une décision libre grâce à laquelle je peux continuer d'être libre.

Ni l'obéissance aux lois ni l'obéissance à un supérieur ne fournissent donc l'exemple recherché d'une légitime soumission de la liberté à un maître. Nous nous demandons s'il n'existe pas une action d'autrui sur ma propre liberté par laquelle précisément je serais libéré.

Souvenons-nous du mythe de la caverne : c'est parce qu'il y a une chaîne qui m'attache à mon ignorance, que l'intervention d'un Socrate est nécessaire.

De même, n'y a-t-il pas une servitude de la liberté qui réclame l'intervention d'un maître? L'expérience du mal moral, et particulièrement l'impuissance d'une volonté à accomplir ce qu'elle voulait, attestent cette servitude.

Si la liberté est ainsi enchaînée en elle-même, elle ne peut s'avancer d'elle-même au devant du maître.

C'est ici l'appel du maître qui doit créer en elle la force de l'obéissance.

C'est pourquoi le maître est ici un sauveur, car l'être ainsi libéré lui doit tout.

Il n'est pas seulement remis en possession de ce qu'il savait déjà comme dans la réminiscence, mais le sauveur fait de lui un homme neuf.

Ainsi Kierkegaard dans Les Miettes philosophiques oppose-t-il l'oeuvre de Socrate à celle du Christ.

Socrate nous permet l'accès à ce que nous savions déjà.

Mais le Christ, en nous délivrant de l'esclavage du Mal, redonne à notre liberté un pouvoir qu'elle ne possédait plus, et qu'elle ne pouvait, en aucun cas, reconquérir par elle-même.

Le maître est un sauveur, car il rend l'homme à luimême.

Socrate accouche d'un esprit qu'il n'a pas engendré.

Le Christ engendre un esprit nouveau. Comment cette oeuvre de salut est-elle possible sans détruire la liberté ? Si la liberté de l'homme est asservie, si la décision par laquelle il accueille le maître ne vient même pas de lui, n'est-il que le jouet de quelque chose qu'il ne maîtrise pas ? Cependant, nous devons penser à la force que nous donnent certains hommes, par leur présence pleine d'amour et de pardon : ils nous libèrent de l'esclavage de la culpabilité et donnent courage à une volonté trop faible pour avancer seule.

N'y a-t-il là qu'un entraînement mécanique ? Il faudrait alors, pour garder sa liberté, se préserver de telles influences.

Mais n'est-ce pas plutôt que notre liberté est en elle-même pénétrée de la présence d'autrui ?. »

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