Un homme travaille-t-il vraiment à son humanité en travaillant ?
Extrait du document
«
Le besoin nous contraint au travail dont le produit apaise le besoin : le réveil toujours nouveau des besoins nous habitue
au travail.
Mais dans les pauses où les besoins sont apaisés et, pour ainsi dire, endormis, l'ennui vient nous surprendre.
Qu'est-ce à dire? C'est l'habitude du travail en général qui se fait à présent sentir comme un besoin nouveau, adventice ; il
sera d'autant plus fort que l'on est plus fort habitué à travailler, peut-être même que l'on a souffert plus fort des besoins.
Pour échapper à l'ennui, l'homme travaille au-delà de la mesure de ses autres besoins ou il invente le jeu, c'est-à-dire le
travail qui ne doit apaiser aucun autre besoin que celui du travail en général.
Celui qui est saoul du jeu et qui n'a oint, par
de nouveaux besoins, de raison de travailler, celui-là est pris parfois du désir d'un troisième état, qui serait au jeu ce que
planer est à danser, ce que danser est à marcher, d'un mouvement bienheureux et paisible : c'est la vision de bonheur
des artistes et des philosophes.
Articulation des idées:
Nietzsche analyse ici que qu'on pourrait appeler une dialectique du besoin et du
travail, laquelle comprend cinq moments et trois états de l'activité humaine:
Le besoin nous pousse au travail (premier état) et nous y habitue.
Le travail devient alors lui-même un besoin: quand on n'a plus besoin de travailler, on
s'ennuie.
D'où l'invention d'une sorte de travail de substitution mais gratuit (puisqu'il ne répond
à aucun besoin, sinon le besoin de travailler lui-même): le jeu (deuxième état).
Mais le jeu peut finir par lasser: il peut alors être dépassé dans un troisième état:
celui de l'activité "des artistes et des philosophes".
A la question -apparemment provocatrice- de savoir si nous avons réellement besoin
de travailler, Nietzsche répond par l'image d'un cercle vicieux qui nous mène
indéfiniment, selon une régression à l'infini, du travail au besoin et du besoin au
travail.
C'est ce qu'exprime le premier temps du texte, qui est implicitement centré
autour d'une mise en cause de la notion de besoin.
Dénonçant l'illusion abstraite du
besoin naturel qu'il faut bien combler par le travail, Nietzsche soupçonne le besoin
d'être un résultat : l'habitude du travail produit le besoin du travail, qui répond donc
à un besoin culturel (« nouveau », « adventice ») et non plus naturel.
C'est
culturellement que nous avons besoin de travailler, besoin qui envahit même ce qui
n'est pas le travail.
Aussi, dans un second temps, Nietzsche repère-t-il jusque dans
nôtre attitude de « loisir » des traces d'une attitude qu'on croirait réservé au travail.
Sans travail, nous nous ennuyons, de cet ennui métaphysique (et dont l'accent est assez pascalien) qui témoigne de ce
que le travail est rentabilisation, organisation machinale porteuse de repères.
L'exemple du jeu, ce travail sans travail, est
bien significatif : il n'y a finalement rien de plus sérieux qu'un jeu aux règles duquel nous sommes souvent plus attachés
qu'aux lois elles-mêmes.
Bref : le travail social exporte son « esprit de sérieux ».
« Le besoin nous contraint au travail dont le produit apaise le besoin : le réveil toujours nouveau des besoins nous
habitue au travail.
Mais dans les pauses où les besoins sont apaisés et, pour ainsi dire, endormis, l'ennui vient nous
surprendre.
Qu'est-ce à dire ? C'est l'habitude du travail en général qui se fait à présent sentir comme un besoin nouveau,
adventice : il sera d'autant plus fort que l'on est plus fort habitué à travailler, peut-être même que l'on a souffert plus fort
des besoins.
Pour échapper à l'ennui, l'homme travaille au-delà de la mesure de ses propres besoins ou il invente le jeu,
cad le travail qui ne doit apaiser aucun autre besoin que celui du travail en général.
Celui qui est saoul du jeu et qui n'a
point, par de nouveaux besoins, de raison de travailler, celui-là est pris parfois du désir d'un troisième état, qui serait au
jeu ce que planer est à danser, ce que danser est à marcher, d'un mouvement bienheureux et paisible : c'est la vision de
bonheur des artistes et des philosophes.
»
Nietzsche, « Humain, trop humain », $611).
A la question -apparemment provocatrice- de savoir si nous avons réellement besoin de travailler, Nietzsche répond par
l'image d'un cercle vicieux qui nous mène indéfiniment, selon une régression à l'infini, du travail au besoin et du besoin au
travail.
C'est ce qu'exprime le premier temps du texte, qui est implicitement centré autour d'une mise en cause de la notion
de besoin.
Dénonçant l'illusion abstraite du besoin naturel qu'il faut bien combler par le travail, Nietzsche soupçonne le
besoin d'être un résultat : l'habitude du travail produit le besoin du travail, qui répond donc à un besoin culturel («
nouveau », « adventice ») et non plus naturel.
C'est culturellement que nous avons besoin de travailler, besoin qui envahit
même ce qui n'est pas le travail.
Aussi, dans un second temps, Nietzsche repère-t-il jusque dans nôtre attitude de « loisir »
des traces d'une attitude qu'on croirait réservé au travail.
Sans travail, nous nous ennuyons, de cet ennui métaphysique
(et dont l'accent est assez pascalien) qui témoigne de ce que le travail est rentabilisation, organisation machinale porteuse
de repères.
L'exemple du jeu, ce travail sans travail, est bien significatif : il n'y a finalement rien de plus sérieux qu'un jeu
aux règles duquel nous sommes souvent plus attachés qu'aux lois elles-mêmes.
Bref : le travail social exporte son « esprit
de sérieux ».
A cet esprit de sérieux, Nietzsche oppose dans le dernier temps du texte sa vision des natures artistes et créatrices.
Il
s'agit de ceux qui ne font plus du jeu quelque chose de sérieux, mais l'expression même de la vie.
Quand il dit de cet état
qu'il est ce que planer est à danser, il faut comprendre cette analogie comme l'expression d'un dépassement, d'une libre
fantaisie.
Le grief que fait Nietzsche à l'esprit de sérieux, à la surenchère culturelle du travail est l'oubli de la Vie, qui est la
valeur centrale de la pensée de Nietzsche.
A l'esprit de sérieux (premier état) et au jeu (second état) qui est en apparence
le prototype de son contraire, alors qu'il en est en réalité le prolongement le plus insidieux, Nietzsche oppose ce «
troisième état », qui, débarrassé des faux besoins, se veut une pure célébration de la Vie..
»
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