Un homme peut-il m'être totalement étranger ?
Extrait du document
«
Analyse du sujet
La question implique un présupposé : qu'un homme puisse m'être étranger.
Une telle affirmation devra être établie
en introduction, avant que soit posé le problème du devoir.
La question porte sur l'idée d'humanité et se situe au croisement de plusieurs notions : autrui et l'anthropologie,
principalement.
Ses implications sont relativement semblables, concernent la nature et l'unité de l'homme : si un
homme peut m'être totalement étranger, il n'y a plus d'unité ni de nature universelle de l'homme.
Si inversement
aucun homme ne m'est totalement étranger, cela implique qu'il y ait un caractère universel et commun à tout
homme.
Une question se pose alors : quel est-il ?
La différence entre les deux sujets réside dans la façon de poser la question : le sujet n° 9 partait de la
communauté entre les hommes (« l'humanité en chaque homme »), le présent sujet part au contraire des différences
(le caractère d'« étranger ») entre les hommes.
Nous pouvons donc poser, pour traiter cette question, un problème recoupant partiellement celui du sujet
précédent : nous reconnaissons, de fait, des différences entre les hommes qui les rendent étrangers les uns aux
autres : les langues, les coutumes, les moeurs.
Et pourtant, nous possédons avec tout homme, même entièrement
différent par ses coutumes et sa culture, au moins un trait commun : l'appartenance à l'humanité.
Il nous faut donc répondre à la question suivante : dans quelle mesure les hommes peuvent-ils s'éloigner les uns
des autres ? Le peuvent-ils au point de ne plus se reconnaître chacun comme homme ?
Si l'amitié désigne cette relation fusionnelle qui fait dire à Montaigne dans les Essais, Livre 28, livre 1 : « En l'amitié
nos âmes se mêlent et se confondent l'une l'autre d'un mélange si universel qu'elles effacent et ne retrouvent la
couture qui les a jointe.
Si l'on me presse de dire pourquoi je l'aimais je sens que cela ne se peut exprimer qu'en
répondant parce que c'était lui parce que c'était moi ».
Ici autrui apparaît comme un prolongement de moi-même.
Mais cette relation ne saurait servir à comprendre l'ensemble des rapports que nous avons envers tous les autres
hommes.
Souvent, en effet, prévaut l'incompréhension, l'hostilité et parfois même la violence à l'égard de ceux que
nous reconnaissons comme étrangers.
Autant dire que autrui en tant qu'homme apparaît sous des figures opposés
et contradictoires, il est l'ami, le voisin, l'étranger.
Plus précisément l'étranger est la figure antinomique de l'ami, puisqu'il est celui qui est intrinsèquement autre, il est
inassimilable.
Avec lui, il semble que je ne puis avoir de dialogue, je ne puis réellement sympathiser avec lui ou le
comprendre.
Seulement tout homme même si il est étranger, n'est-il pas avant tout humain, et ne puis-je pas en
droit sympathiser avec tout homme ?
Tout homme en tant qu'il appartient au genre humain n'a-t-il pas une proximité voire une similitude qu'il partage
avec tout les hommes et donc avec moi ? Mais n'est-ce pas en tant qu'il est incarné dans un corps que tout homme
est mon alter ego ? Cependant peut-on ramener tous les hommes à cette égalité, cette identité qui interdit de voir
tout autre comme radicalement autre ? L'étranger n'est-il pas tout simplement tout autre homme regardé comme
autre ?
Tout homme n'est-il pas intrinsèquement mon semblable
Il est un fait avéré c'est que si autrui n'était pas mon semblable il n'y aurait ni l'idée de morale de respect, ou
d'égalité.
Autrui est mon semblable parce qu'il est justement homme, tout homme est donc mon semblable.
Les stoïciens envisagent la relation à l'autre à partir d'une relation primordiale à soi-même.
L'oikoiésis désigne cette
appropriation initiale grâce à laquelle le vivant saisit son être comme le sien propre, éprouve une vraie complaisance
envers soi.
Cette inclination originelle conduit l'être vivant à recherche ce qui lui permettra de se conserver.
Mais
au-delà de ce rapport à soi-même, elle porte le vivant à sentir son attachement à l'égard de ce qui l'entoure.
Le
soin que l'animal dispense à ses petits montre qu'il ressent leurs besoins comme les siens propres.
Chez l'homme ce
sentiment s'élargit à tout le genre humain.
Ainsi les membres du genre humain sont-ils confiés les uns aux autres
comme chacun est confié à lui-même.
Le lien de chaque homme à tout homme est donc un fondement commun à
tous les vivants, à cela s'ajoute un bien propre : la participation au logos.
Par la raison présente en tout homme
l'amour de soi s'élargit en amour du genre humain.
C'est la nature qui nous enjoint à regarder autrui comme mon
prochain.
Dans une optique plus rationnelle respecter autrui pour Kant, c'est en une certaine manière respecter l'autre en moimême.
Ainsi en donnant à la morale kantienne sa formulation : « Agis de telle sorte que la maxime de la volonté
puisse valoir en même temps comme principe d'une législation universelle », Kant fait passer le devoirs envers autrui
du domaine du sentiment ou de la foi à celui de la morale et de la raison qui m'enjoint au double respect de soi et
des autres.
Dans ce processus d'élévation à l'universel de la maxime qui commande mon action je ne peux manquer
de rencontrer les autres, d'emblée le solipsisme est écarté.
Je me situe comme sujet autonome (je ne reçois pas le
devoir de l'extérieur) tout en réglant mon action sur l'existence au moins possible d'autres sujets que moi.
Dans la
logique de l'action morale le je dépasse ses particularités empiriques pour rejoindre l'universalité des sujets moraux, il
ne peux se penser comme seul sujet face à un monde d'objets.
L'autre c'est toujours l'alter ego.
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