Un homme peut-il en juger un autre ?
Extrait du document
«
Introduction
« Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre !» – Cet avertissement de Jésus aux bien-pensants qui
veulent lapider une prostituée vient poser de façon provocante la question du jugement d'autrui : un homme peut-il
en juger un autre ? Nul n'étant parfait, qui peut prétendre avoir le droit de juger son prochain ? Et pourtant juger
est un acte habituel et souvent nécessaire.
Il est donc important de préciser le bien-fondé et les limites du
jugement de l'homme par l'homme.
Nous étudierons dans un premier temps le processus par lequel la question elle-même apparaît : pratiquant
quotidiennement le jugement, nous prenons conscience, en subissant celui d'autrui, de la difficulté d'un jugement
légitime et juste.
Nous préciserons alors les raisons qui semblent interdire à quiconque de juger son prochain ; nous
verrons enfin qu'il n'est pourtant pas souhaitable de renoncer à toute activité de jugement et qu'il convient donc de
se fixer des règles.
I.
Du jugement au scrupule Juger autrui, une vieille habitude
Kant rappelle, dans la Critique de la raison pratique, qu'il n'y a pas de passetemps plus courant dans la société que de juger son voisin ; Rousseau
précise, dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi
les hommes, que ce phénomène est lié à la vie en société : nous sommes
constamment sous le regard d'autrui et l'amour-propre est le produit du souci
de valoir aux yeux d'autrui.
Le « Discours sur l'inégalité » (1755), qui faisait
suite au « Discours sur les sciences et les arts » (1750), impliquait lui-même
une suite.
Rousseau avait montré les effets catastrophiques du luxe et de
l'inégalité, deux conséquences du passage de la vie primitive à la civilisation.
Aiguillonné par l'amour-propre, cherchant toujours à surpasser ses semblables,
l'homme civilisé est devenu moins bon et moins heureux que ses lointains
ancêtres.
L'expérience de l'injustice
Le même Rousseau évoque aussi cependant la cruauté du jugement de
l'homme sur l'homme : si l'homme est un loup pour l'homme, c'est souvent à
travers le jugement injuste et sans pitié que nous portons les uns sur les
autres.
Sigmund Freud:
"L'homme
n'est
point
cet
être
débonnaire, au coeur assoiffé d'amour,
dont on dit qu'il se défend quand on l'attaque, mais un être, au contraire, qui
doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme
d'agressivité.
Pour lui, par conséquent, le prochain n'est pas seulement un
auxiliaire et un objet sexuel possibles, mais aussi un objet de tentation.
L'homme est, en effet, tenté de satisfaire son besoin d'agression aux dépens
de son prochain, d'exploiter son travail sans dédommagements, de l'utiliser
sexuellement sans son consentement, de s'approprier ses biens, de l'humilier,
de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer.
Homo homini
lupus : qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et
de l'histoire, de s'inscrire en faux contre cet adage ? Cette tendance à
l'agression, que nous pouvons déceler en nous-mêmes et dont nous
supposons à bon droit l'existence chez autrui, constitue le principal facteur de
perturbation dans nos rapports avec notre prochain.
C'est elle qui impose à la
civilisation tant d'efforts.
Par suite de cette hostilité primaire qui dresse les
hommes les uns contre les autres, la société civilisée est constamment
menacée de ruine."
L'invitation à la retenue
Cette expérience de l'injustice ou de l'arbitraire du jugement nous invite à plus de retenue, à peser nos paroles et
nos pensées : qui sommes-nous pour juger autrui ? Lorsqu'un homme en juge un autre, n'usurpe-t-il pas la place de
Dieu, ne fait-il pas preuve d'une prétention infondée ?
II.
Les raisons de la réserve
L'approfondissement philosophique de cette hésitation nous révèle des raisons plus profondes qui remettent en
cause la validité et la légitimité de notre jugement sur les autres.
La subjectivité
Il faut tout d'abord rappeler que c'est une subjectivité qui en juge une autre : avec ma perspective finie, partielle,
je juge une subjectivité dont je n'ai pas d'intuition intellectuelle, qui ne se révèle à moi que par des expressions
partielles.
L'objectivité du jugement est donc doublement remise en cause..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- STRAUSS: «...il y a dans l'homme quelque chose qui n'est point totalement asservi à sa société et par conséquent [...] nous sommes capables, et par là obligés, de rechercher un étalon qui nous permette de juger de l'idéal de notre société comm
- STRAUSS: «...il y a dans l'homme quelque chose qui n'est point totalement asservi à sa société et par conséquent [...] nous sommes capables, et par là obligés, de rechercher un étalon qui nous permette de juger de l'idéal de notre société comme de tout a
- Faut-il juger un homme sur ses actes ou sur ses intentions ?
- Un homme peut-il en juger un autre ?
- Texte 1 : « Homme est tu capable d’être juste ? »