Un critique a dit : « On a raison de mettre Le siècle de Louis XIV aux mains de la jeunesse. Tant qu'il sera un livre d'enseignement, je n'ai pas peur que les Français aiment médiocrement leur pays. C'est le meilleur ouvrage et peut-être la meilleure act
Extrait du document
Début. — Le jugement de Nisard n'est guère contestable : l'œuvre historique de Voltaire, si mêlée, nous offre dans le Siècle de Louis XIV ce qu'il y a de plus solide, de plus juste et de plus bienfaisant.
- 1. C'est le meilleur ouvrage de Voltaire.
a) Mérites : Intérêt et nouveauté du sujet. Documentation large et précise. Voltaire étend le domaine de l'histoire (finances, commerce, agriculture, beaux-arts, affaires ecclésiastiques, histoire des mœurs). b) Défauts : Composition trop morcelée, manque de liaison, des lacunes, jugements contestables, préjugés antireligieux.
- 2. C'est la meilleure action de Voltaire.
a) Il réhabilite la personne du Roi, méconnu depuis sa mort. Preuve d'indépendance et de justesse d'esprit. b) Il élève un monument à la gloire de la France.
Conclusion. — Le livre est instructif. Voltaire donne toute la mesure de son intelligence et de son talent.
«
Un critique a dit : « On a raison de mettre Le siècle de Louis XIV aux mains de la jeunesse.
Tant qu'il sera un livre d''enseignement, je
n'ai pas peur que les Français aiment médiocrement leur pays.
C'est le meilleur ouvrage et peut-être la meilleure action de Voltaire.
»
(Nisard.)
PLAN
Début.
— Le jugement de Nisard n'est guère contestable : l'œuvre historique de Voltaire, si mêlée, nous offre dans le Siècle de Louis
XIV ce qu'il y a de plus solide, de plus juste et de plus bienfaisant.
1.
C'est le meilleur ouvrage de Voltaire.
a) Mérites : Intérêt et nouveauté du sujet.
Documentation large et précise.
Voltaire étend le domaine de l'histoire (finances, commerce,
agriculture, beaux-arts, affaires ecclésiastiques, histoire des mœurs).
b) Défauts : Composition trop morcelée, manque de liaison, des lacunes, jugements contestables, préjugés antireligieux.
2.
C'est la meilleure action de Voltaire.
a) Il réhabilite la personne du Roi, méconnu depuis sa mort.
Preuve d'indépendance et de justesse d'esprit.
b) Il élève un monument à la gloire de la France.
Conclusion.
— Le livre est instructif.
Voltaire donne toute la mesure de son intelligence et de son talent.
DÉVELOPPEMENT
Tout le monde est d'accord aujourd'hui pour mettre chez Voltaire le prosateur fort au-dessus du poète, que ses contemporains
admiraient tant.
Mais dans la prose, que préfère-t-on ? Certains lisent de préférence les contes et romans philosophiques, d'autres la
correspondance, d'autres l'Essai sur les mœurs où l'histoire se mêle à la philosophie.
Dans son œuvre historique il n'est guère contestable que le meilleur ouvrage est le Siècle de Louis XIV.
Le Charles XII, si alerte, est un
peu mince.
L'Essai, en dépit des vues justes et neuves, est trop chaotique et dominé par l'esprit partisan.
Voltaire a d'abord le mérite d'une documentation large et précise.
Il a travaillé dix-huit ans au Siècle (premier essai sur la vie de Louis
XIV, 1739, éditions successives : 1751, 1756, 1768, 1775).
Il est allé aux sources autant qu'il a pu et à fait œuvre de critique autant
qu'il était en lui.
Il a recueilli des témoignages de première main (Caumartin, Vendôme, Villars, Saint-Evremond), dépouillé 200
volumes de mémoires imprimés et quantité d'autres manuscrits (Torcy, Dangeau, Noailles, Saint-Simon), utilisé les archives d'État,
visité des champs de batailles, des châteaux, des prisons, des collections.
Il a confronté les témoignages écrits et oraux, recherché les
causes précises des faits, pesé la valeur des témoins.
Sa méthode n'est pas moins neuve que son recours aux sources directes.
Il étend le domaine de l'histoire à toutes sortes de sujets
restés jusqu'à lui en dehors du champ de vision de l'historien.
A la suite de l'histoire militaire et diplomatique, la traditionnelle histoirebatailles-traités, il examine tout ce qui doit contribuer à la connaissance du gouvernement intérieur (administration, finances, justice),
de la vie économique (marine, commerce), de l'histoire des mœurs (anecdotes) ; surtout il introduit l'histoire des sciences, des arts et
des lettres, éléments civilisateurs par excellence dans une nation, et il termine par les affaires religieuses qui ont tenu tant de place au
XVIIe siècle.
Cette curiosité universelle est mise au service de l'Histoire parce qu'elle élargit ses perspectives.
Voltaire est avant tout curieux de
civilisation.
« Il ne revient rien au genre humain de cent batailles rangées...
une écluse du canal qui joint les deux mers, un tableau du
Poussin, une belle tragédie, une belle découverte sont des choses mille fois plus précieuses que toutes les relations de campagnes.
» .
S'il s'attache à l'éloge de Louis XIV c'est « qu'il a fait du bien aux hommes » en présidant à toute l'activité de sa nation, activité qui a
civilisé la France et fait rayonner le génie français hors de nos frontières, pour le plus grand bien de l'Europe.
Cet éloge, il le fonde
donc en raison et nous donne un vaste tableau de la vie française « dans le siècle le plus glorieux à l'esprit humain ».
Le livre a des défauts : composition trop morcelée, disproportion sautant aux yeux aujourd'hui, ainsi que des lacunes.
L'auteur abuse ici
de l'analyse et là de la synthèse, il s'attache aux anecdotes et passe sous silence les Pensées de Pascal, mais surtout il laisse troubler
la sérénité de son jugement par son parti pris antireligieux.
Il a méconnu l'âme chrétienne du XVIIe siècle, principe de grandeur
morale.
Non que le siècle ait été tout entier « édifiant », mais il est hors de doute que le Christianisme imprégnait encore profondément
les mœurs et les institutions, qu'il fut le principe actif et supérieur de nobles vies, de sincères conversions, d'illustres repentirs (Condé,
Turenne, La Vallière, Mme de Montespan, Louis XIV lui-même).
Il n'a pas compris Port-Royal, il a vu dans les conflits religieux :
jansénisme, quiétisme des « querelles qui sont la honte de l'esprit humain » ; il méconnaît la grandeur de l'esprit missionnaire dans son
chapitre ironique sur les cérémonies chinoises.
Il manque à son histoire l'élévation morale.
Il n'admire la vertu que si elle est « laïque
».
Dans quelle mesure le Siècle de Louis XIV, est-il « la meilleure action de Voltaire » ?
Il a d'abord tracé un portrait fidèle de son héros.
Sans doute même a-t-il simplifié à l'excès en ramenant tout à l'action personnelle de
Louis XIV, le règne personnel ne datant que de 1661.
Richelieu, Mazarin, Descartes, C orneille, Pascal ne lui devaient rien et ont
préparé le climat politique, intellectuel et moral de son propre règne.
Mais dès qu'il prend le pouvoir, on peut dire : « non seulement il
s'est fait de grandes choses sous son règne, mais c'est lui qui les a faites », tant l'Etat était dans sa main centralisé et discipliné.
Ce portrait de Louis XIV n'est pas sans ombre et quelques contemporains furent parfois choqués par des irrévérences.
Voltaire voulut
pourtant rendre justice au souverain qu'il juge un grand homme.
« Il n'a pas fait tout ce qu'il pouvait faire parce qu'il était homme,
mais il a fait plus qu'un autre parce qu'il était un grand homme.
» S'il a révoqué l'Edit de Nantes et privé son pays par cette lourde
faute de sujets utiles qui s'en iront enrichir d'autres nations...
il a laissé la France le plus puissant, le plus peuplé et le plus civilisé des
peuples du monde.
Voltaire réhabilitait la mémoire du Roi fort attaquée depuis sa mort (se rappeler le ton d'ironie des Lettres
Persanes).
Ce fut une œuvre de justice, méritoire, à sa date, preuve d'indépendance et de justesse d'esprit.
En outre, en écrivant le Siècle de Louis XIV, Voltaire élevait un monument à la gloire de son pays.
Il écrit avant de publier son livre : « Ceux qui me liront verront bien que je suis Français.
» C'est vrai et ceci compense cela : les
quatrains sur Rosbach, ses colères contre les « Welches », qui pèsent sur sa mémoire, et tant de flagorneries à Frédéric et à Catherine
II.
Très fier, au fond, d'appartenir au peuple le plus spirituel du monde, ce qui assurait à un Voltaire parmi les siens et ailleurs une
incontestable royauté, il s'est réfugié en imagination comme en un âge d'or dans ce siècle « le plus éclairé qui fût jamais » (il croyait
sincèrement que tout dégénérait de son temps).
Ainsi Voltaire fait-il prendre conscience à ses contemporains (le recul leur avait manqué pour en juger) de cette période glorieuse qui a
porté leur pays au premier rang des nations, et fait rayonner son génie à travers le monde.
N'est-ce pas suffisant à la gloire d'un
écrivain ? Aujourd'hui encore, bien que ce livré manque un peu de chaleur et de couleur, comme tout ce qu'il écrit, un lecteur peut s'y
instruire et y trouver le meilleur de Voltaire..
»
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