Un bonheur sans illusion est-il concevable ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet
On définit le bonheur comme un état de satisfaction durable, et on le pose souvent comme la recherche finale de
toute vie humaine.
Le contenu du bonheur pose cependant problème : de quoi le bonheur est-il fait ? Quelles sont
les conditions de son obtention ? Peut-on travailler à son bonheur, ou le bonheur est-il un état qui nous échoit ou
non sans que nous puissions vraiment être sa cause ?
Une illusion est une erreur que l'on tient pour une vérité.
Nous entretenons avec elle le même rapport qu'avec une
vérité, alors même qu'elle est le contraire d'une vérité.
Concevoir une chose, c'est la construire par l'esprit : le sujet demande donc si l'on peut penser un bonheur qui
serait exempt de tout écart par rapport à la réalité, un bonheur basé sur une connaissance exacte de la réalité
même dans ses éléments les plus sombres.
La perspective présupposée par le sujet est donc assez pessimiste,
puisqu'elle met en doute la possibilité de la conception d'un réel bonheur sans l'aide de l'illusion et donc de l'erreur.
Il
faudra interroger ce présupposé pour proposer une conception du bonheur qui s'y accorde ou bien s'en détache – la
philosophie a abondamment travaillé sur la seconde de ces alternatives.
Proposition de plan
I.
L'illusion comme correction du réel
Pourquoi l'illusion entre-t-elle dans la conception du bonheur ? Expliquer cela permettra d'évaluer la valeur de
l'illusion pour éventuellement la minimiser par la suite.
L'illusion permet de construire un monde intérieur moins sombre
que le monde réel, elle consiste à choisir certains aspects du monde et à se convaincre qu'il s'agit là de la réalité.
Le
bonheur se conçoit alors sur une sélection et une transformation inconsciente des éléments du réel.
Il est permis
par un détachement à l'égard du réel, et par une certaine forme d'ignorance entretenue.
Bachelard, La poétique de la rêverie
« Toute enfance est fabuleuse, naturellement fabuleuse.
Non pas qu'elle se laisse imprégner, comme on le croit trop
facilement, par les fables toujours si factices qu'on lui raconte et qui ne servent guère qu'à amuser l'ancêtre qui
raconte.
Que de grand'mères qui prennent leur petit-fils pour un petit sot ! Mais l'enfant né malin attise la manie de
raconter, les sempiternelles répétitions de la vieillesse conteuse.
Ce n'est pas avec ces fables fossiles, ces fossiles
de fables que vit l'imagination de l'enfant.
C'est dans ses propres fables, c'est dans sa propre rêverie que l'enfant
trouve ses fables, des fables qu'il ne raconte à personne.
Alors, la fable, c'est la vie même.
»
II.
Les conditions de la conception du bonheur
Ce recours à l'illusion est révélateur de la manière dont l'homme se rapporte au bonheur dans la recherche qu'il mène
de ce dernier.
Il faut interroger l'idée d'une indétermination inévitable du concept de bonheur, qui laisse place à un
recours à l'illusion.
L'illusion serait alors des éléments les plus faciles d'accès de la conception du bonheur.
Cela
minimise sa valeur : elle est un pis-aller.
Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs
« Le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être
heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut.
La
raison en est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques,
c'est-à-dire qu'ils doivent être empruntés à l'expérience ; et que cependant pour l'idée du bonheur un tout absolu,
un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire.
Or il est
impossible qu'un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu'on le suppose, se fasse un concept
déterminé de ce qu'il veut ici véritablement.
Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d'envie, que de pièges ne peutil pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissance et de lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que
lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d'une manière d'autant plus terrible les maux qui jusqu'à
présent se dérobent encore à sa vue et qui sont pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de besoins
encore ses désirs qu'il a déjà bien assez de peine à satisfaire.
Veut-il une longue vie ? Qui lui répond que ce ne
serait pas une longue souffrance ? Veut-il du moins la santé ? Que de fois l'indisposition du corps a détourné d'excès
où aurait fait tomber une santé parfaite, etc.
!
Bref, il est incapable de déterminer avec une entière certitude d'après quelque principe ce qui le rendrait
véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l'omniscience.
(...) Il suit de là que les impératifs de la prudence, à
parler exactement, ne peuvent commander en rien, c'est-à-dire représenter des actions d'une manière objective
comme pratiquement nécessaires, qu'il faut les tenir plutôt pour des conseils (consilia) que pour des
commandements (proecepta) de la raison ; le problème qui consiste à déterminer d'une façon sûre et générale quelle.
»
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