Un acte peut-il être désintéressé ?
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«
L'idée d'un tel acte est-elle possible à concevoir (possibilité logique et possibilité morale) ? L'homme a-t-il
naturellement les capacités de réaliser un acte désintéressé ? Mais il faut aussi se demander si un tel acte est
possible empiriquement, dans les faits (possibilité réelle).
Autrement dit, peut-on concevoir un acte désintéressé, et
si oui, peut-on alors l'effectuer ? Comment peut-on dire que la création artistique soit un acte intéressé ? L'acte
désintéressé peut se rapprocher de la notion d'acte gratuit : "gratuit" peut aussi signifier "sans raison", "sans
motivation", "sans intention bien déterminée", "sans cause", "sans finalité" (ainsi, est-ce qu'un acte absurde est
possible ?).
Ne peut-on pas cependant lire un sens dans de tels actes, y voir par exemple le signe de notre absolue
liberté, de la contingence absolue de notre existence (rien n'est prévu d'avance, nos actes ne sont l'effet d'aucune
cause préétablie ne dépendant pas de nous) ? Concevoir l'idée d'acte gratuit comme " preuve " de la liberté, n'estce pas donner une orientation nouvelle à la définition traditionnelle de la liberté comme autonomie (être soi-même la
cause d'une série d'effet, mais une cause réfléchie, consciente, délibérée) ? Moralement, peut-il y avoir une
nécessité d'agir de manière désintéressée (ne plus agir en considérant tout acte comme un moyen, mais comme une
fin) ?
Au cours du XVIIe siècle, La Rochefoucauld a quelque peu déstabilisé les esprits de son temps en bousculant les
idées que l'on se fait communément au sujet de la morale.
On imagine, par exemple, que l'homme généreux pratique
la générosité parce qu'il est généreux.
N'est-ce pas là une illusion ? Ne se glisse-t-il pas parfois un calcul derrière la
générosité ? N'arrive-t-il pas que l'on se montre généreux afin de lier l'autre à soi par quelque don ou bien pour faire
étalage de sa vertu devant les autres, en pratiquant une générosité ostentatoire ? Ainsi que l'a montré La
Rochefoucauld avant que Pascal ne redise la même chose, les hommes sont en proie à l'amour-propre.
Aussi ont-ils
une idée derrière la tête et cherchent-ils à se faire plaisir en tout.
Si bien que rien n'est gratuit chez eux, tout étant
mû par l'amour-propre.
Pour glorifier le vice et fustiger la vertu, Sade ne s'y prendra pas autrement.
La vertu est
naïve, soulignera-t-il.
Elle ignore la réalité du désir, de l'amour-propre ainsi que leurs stratégies.
Aussi échoue-t-elle
toujours.
Alors que le vice, qui a des arrière-pensées, n'ignore rien de la réalité du désir et, de ce fait, prospère.
Aussi faut-il être lucide et oser dire que la morale est une contradiction.
Voire une production contre nature.
Soyons justes : il y a du vrai dans ce constat implacable.
Les hommes sont intéressés.
Et il serait naïf de croire
qu'ils ne le sont pas.
Cela dit, soyons justes jusqu'au bout : est-il sûr que cela soit un vice ? Si l'intérêt désigne le
calcul égoïste qui utilise les vertus les plus nobles de l'humanité, il signifie aussi le plaisir que l'on prend à s'occuper
de sujets moraux.
Comment ne pas voir que si la morale ne suscitait aucun intérêt et donc aucun plaisir en nous,
celle-ci n'existerait pas ? Le généreux prend plaisir à la générosité.
Et alors ? Il y a des plaisirs bien plus coupables.
Tant de personnes ont du plaisir à autre chose que la générosité ! En outre, que veut-on ? Que le généreux soit
triste pour avoir le droit d'être généreux ? Kant a raison de dire qu'il faut que le sentiment moral soit désintéressé,
et qu'il ne se mêle rien en lui venant du calcul individuel.
Il a raison, qui plus est, d'ajouter que la vraie moralité ne
se sait pas morale.
Elle est innocente.
Elle ne se dit pas, en étant morale, qu'elle est morale, se vantant de l'être.
Cela dit, pour devenir moral en toute innocence, ne faut-il pas commencer par vouloir devenir moral ? Il est beau de
vouloir avoir les mains pures, a dit Hegel, mais encore faut-il avoir des mains ! Pascal, de ce fait, a eu raison de
retourner la démarche de La Rochefoucauld, tout en percevant sa justesse.
Il y a en effet chez La Rochefoucauld
un idéal déçu.
Il voudrait que les hommes soient « moralement moraux ».
Ce qui n'est pas possible.
Si les hommes
éprouvent le besoin de devenir moraux, c'est qu'ils ne le sont pas et qu'ils ont besoin de l'être.
Ne leur reprochons
pas de ne pas être déjà moraux, dès lors qu'ils s'efforcent de le devenir.
Laissons-leur du temps.
Il y a chez La
Rochefoucauld, Sade et le scepticisme moral beaucoup d'idéalisme.
Comme ils attendent trop de la morale et qu'ils
ne trouvent pas ce qu'ils en attendent, ils vont chercher dans l'immoralité, cette perfection à l'envers, ce qu'ils ne
trouvent pas dans la morale.
Il faut le savoir : les immoralistes qui prêchent une vie sans principes sont des
paresseux de la morale, qui se donnent une morale sans morale (l'immoralité) pour ne pas avoir à faire un effort
moral.
Soyons donc simples.
Et ne jouons pas avec la morale.
Faisons l'effort de devenir moraux, sans nous
préoccuper de qui n'est pas moral.
A chaque jour suffit sa peine.
L'intérêt n'est pas négatif.
C'est son détournement qui l'est.
L'intérêt renvoie à ce qui est intéressant.
Il est la
réponse individuelle et passionnée à la valeur même de la morale.
D'où l'importance de s'intéresser.
Cela révèle de la
générosité, un don de soi.
Hannah Arendt a fait l'éloge de l'homme intéressé.
Elle a critiqué l'idéal d'un homme désintéressé.
Elle a défendu la
passion créatrice présente à soi, à la vie.
On découvre le logos, qui est relation source de toute raison, en étant
relié à soi.
I.
Acte gratuit et liberté de choix.
1.
L'acte gratuit est dépourvu de fin.
Lorsque j'agis ordinairement, je poursuis une fin que je me suis proposée : mon acte se comprend à partir de cette
fin.
Inversement, l'acte gratuit est celui qui non seulement semble sans raison, mais est absolument dépourvu de
tout but, de toute fin: l'acte gratuit n'est pas l'acte incompréhensible du déséquilibré dont la folie explique le
comportement, mais l'acte accompli délibérément sans raison, sans finalité, sans motif.
L'acte gratuit, c'est l'acte qui est accompli sans raison, par seul effet de la liberté.
Prenons un exemple célèbre,
celui du héros de Gide dans les Caves du Vatican, Lafcadio.
Lafcadio se rend à Rome par le train et se retrouve seul
dans la nuit, ne partageant son compartiment qu'avec un vieux monsieur, Amédée Fleurissoire.
Lafcadio se prend
d'une pensée folle.
Là sous ma main, la poignée.
Il suffirait de la tirer et de le pousser en avant.
On n'entendrait
même pas un cri dans la nuit.
Qui le verrait...
un crime immotivé, quel embarras pour la police ».
Lafcadio pense ne
pas pouvoir être soupçonné, il n'y a pas de relation entre lui et Amédée Fleurissoire.
L'enquête devra s'orienter.
»
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