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Un acte gratuit est-il possible ?

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« INTRODUCTION • Périodiquement la presse informe que vient d'être commis un crime «gratuit» : il n'apparaît tel que parce qu'on ignore ce qui a poussé le meurtrier à agir, mais il risque bien de perdre sa « gratuité » en cours d'enquête, lorsqu'on parviendra à en repérer les causes.

Un acte entièrement gratuit est-il néanmoins possible ? I.

Acte gratuit et liberté de choix. 1.

L'acte gratuit est dépourvu de fin. Lorsque j'agis ordinairement, je poursuis une fin que je me suis proposée : mon acte se comprend à partir de cette fin.

Inversement, l'acte gratuit est celui qui non seulement semble sans raison, mais est absolument dépourvu de tout but, de toute fin: l'acte gratuit n'est pas l'acte incompréhensible du déséquilibré dont la folie explique le comportement, mais l'acte accompli délibérément sans raison, sans finalité, sans motif. Dans Les Caves du Vatican, Gide fait commettre à un de ses personnages un acte gratuit très caractéristique.

Lafcadio se rend à Rome par le train et se trouve seul, la nuit, dans son compartiment avec un petit vieux de chétive apparence, Amédée Fleurissoire.

« Qui le verrait, pensait Lafcadio ? Là, tout près de ma main, sous ma main, cette double fermeture que je peux faire jouer aisément; cette porte, qui cédant tout à coup le laisserait crouler en avant; une petite poussée suffirait...

on n'entendrait même pas un cri...

Un crime immotivé, quel embarras pour la police ! Ce n'est pas tant des événements que j'ai curiosité, que de moi-même.

» Et Lafcadio laisse la décision au hasard.

« Si je puis compter jusqu'à douze, sans me presser, avant de voir dans la campagne quelque feu », l'homme est sauvé; « je commence une; deux; trois; quatre; (lentement, lentement) cinq ; six ; sept ; huit ; neuf...

Dix, un feu ! » et le crime s'accomplit. Pour se prouver sa liberté, le héros, Lafcadio, décide d'assassiner un vieillard assis en face de lui dans un train, alors qu'il n'a aucune raison de le faire.

Au moment d'agir, toutefois, il remettra sa décision au hasard : si aucun feu ne s'allume dans la campagne avant qu'il n'ait compté jusqu'à douze, le vieillard sera sauvé.

Ainsi, l'action apparemment la plus libre est aussi celle qui dépend le plus de circonstances extérieures à ma volonté.

La liberté d'indifférence, comme Descartes nous le rappelle, n'est en fait que « le plus bas degré de la liberté ». 2.

L'acte gratuit est dépourvu de cause. Pour qu'un tel acte soit possible, il faut que rien ne nous porte à l'accomplir : sans que nous nous proposions de fin, nous sommes en effet le plus souvent portés à agir de telle ou telle façon.

Dans ce cas nous agissons par habitude, réflexe, sous le coup de la passion ou de l'émotion.

L'acte gratuit est au contraire sans cause efficiente.

Notre volonté n'est soumise à aucun mobile, à aucune cause. 3.

La liberté comme puissance positive. Un acte gratuit n'est dès lors possible que si ma liberté est une puissance positive d'agir, de choisir sans y être portée entre plusieurs choix.

C'est ce qui ressort d'une lettre de Descartes à Mesland du 9 février 1645; la liberté est alors liberté d'indifférence, une «faculté positive de se déterminer pour l'un ou l'autre de deux contraires, c'est-à-dire de poursuivre ou de fuir, d'affirmer ou de nier». « [...] L'indifférence me semble signifier proprement l'état dans lequel se trouve la volonté lorsqu'elle n'est pas poussée d'un côté plutôt que de l'autre par la perception du vrai ou du bien ; et c'est en ce sens que je l'ai prise lorsque j'ai écrit que le plus bas degré de la liberté est celui où nous nous déterminons aux choses pour lesquelles nous sommes indifférents.

Mais peut-être d'autres entendent-ils par indifférence la faculté positive de se déterminer pour l'un ou l'autre de deux contraires, c'est-à-dire de poursuivre ou de fuir, d'affirmer ou de nier.

Cette faculté positive, je n'ai pas nié qu'elle fût dans la volonté.

Bien plus, j'estime qu'elle s'y trouve, non seulement dans ces actes où elle n'est poussée par aucune raison évidente d'un côté plutôt que de l'autre, mais aussi dans tous les autres ; à tel point que, lorsqu'une raison très évidente nous porte d'un côté, bien que, moralement parlant, nous ne puissions guère choisir le parti contraire, absolument parlant, néanmoins, nous le pouvons.

Car il nous est toujours possible de nous retenir de poursuivre un bien clairement connu ou d'admettre une vérité évidente, pourvu que nous pensions que c'est bien d'affirmer par là notre libre arbitre.

» DESCARTES L'homme est infiniment libre et il peut à chaque instant faire l'expérience de cette liberté qui est l'image de Dieu en nous.

La liberté se vit, s'éprouve, mais ne se prouve pas.

Elle est si grande que chacun peut décider de ne pas choisir : Descartes appelle cela la liberté d'indifférence.

Et nous pouvons l'entendre en deux sens : 1.

Je suis indifférent parce que je ne penche pas plus d'un côté que de l'autre (ex.

de l'âne de Buridan).

C'est une définition négative de l'indifférence : « je ne sais pas ».

C'est-à-dire je n'ai pas de raison de choisir l'un plutôt que l'autre.

Je ne peux pas justifier mon choix. 2.

Je suis indifférent au début, c'est-à-dire j'ai « la faculté de poursuivre ou de fuir, d'affirmer ou de nier ».

Cette définition est positive. J'affirme l'infini de cette liberté en me libérant de mon ignorance.

Plus je connais, plus je choisis, plus je suis libre.

Montaigne disait : « La vraie liberté, c'est pouvoir toute chose sur soi. Résumons-nous : être indifférent c'est ne pas avoir de préférence, d'intérêt.

C'est un état de neutralité.

Cet état peut être synonyme de liberté.

Descartes distingue deux sortes d'indifférence et de ce fait deux sortes de liberté : 1.

Je suis indifférent : je suis indéterminé, tel l'âne de Buridan qui ne sait choisir entre son avoine et son eau et qui mourra de faim et de soif.

Ma liberté est ici synonyme d'impuissance. 2.

Je suis indifférent : je suis tout-puissant.

Ma volonté peut se déterminer indépendamment des mobiles.

Ma liberté est ici synonyme de pouvoir de se déterminer sans autre raison que le vouloir lui-même.. »

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