Un acte de justice ne risque-t-il pas d'être un acte de vengeance ?
Extrait du document
«
VOCABULAIRE:
Justice:
a) Juste reconnaissance du mérite et des droits de chacun.
b) Caractère de ce qui est conforme au droit positif (légal) ou au droit naturel (légitime).
Problématique:
La justice pénale sanctionne une faute, la vengeance consiste à faire subir à l'auteur d'un délit le sort qu'il a réservé
à sa victime.
On pourrait penser qu'en punissant le criminel, la société venge sa victime, alors qu'elle se borne à
appliquer des procédures juridiques.
Il est sous-jacent dans la question que la justice n'est pas la vengeance.
Mais il doit y avoir une connexité entre
les deux pour que l'une, la justice, puisse devenir l'autre, la vengeance.
Il faut comprendre que la justice se
distingue spécifiquement de la vengeance, mais qu'elle menace de se transmuer en vengeance.
Or comment cela
est-il possible si, par définition, la justice s'inscrit dans le cadre de la loi, là où la vengeance est hors la loi?
Le rapprochement entre justice et vengeance est suggéré par la façon dont elles se manifestent.
En elles deux,
s'affirme l'acte commun du châtiment.
Celui-ci peut être de même nature, qu'il soit infligé par la justice, ou perpétré
par vengeance.
Peine capitale, meurtre de l'autre, dira-t-on par exemple ! Mais, dans les deux cas, on avancera qu'il
s'agit de châtier un coupable.
Justice pénale, ou justice privée, on répond à un crime par une peine.
Un acte de justice, comme application d'une sanction pénale, ne diffère donc pas en apparence d'un acte de
vengeance.
La phénoménalité de l'acte confond justice et vengeance dans le creuset du châtiment.
De là, on peut
croire naïvement que se venger, c'est faire respecter la justice.
Il faut donc oublier momentanément la question de la peine, qui obscurcit les esprits, et réfléchir à celle de la
légitimité.
Qu'est-ce qui fait alors que la même action passe pour la marque de la meilleure justice ou, au contraire,
pour un crime épouvantable?
Il n'y a pas de risque que la vengeance devienne justice (mais cela n'a pas de sens non plus), car il n'y aurait là
aucun danger.
Mais que la vengeance se fasse passer pour la justice, voilà le vrai péril.
Nous reconnaissons qu'un
malheureux qui se fait justice, en décidant arbitrairement du sort de sa victime, n'exerce en fait aucune justice,
mais accomplit un acte de vengeance.
De la vengeance on ne saurait remonter à la justice.
Au contraire, si
parcourant le chemin en sens inverse, on examine la justice d'État, en quoi sommes-nous assurés que cette justice
ne participe pas en réalité d'une forme de vengeance de la société à l'égard de qui lui aurait porté préjudice, en
s'attaquant à l'un de ses membres? L'État se vengerait ainsi subtilement de dommages subis, sous couvert d'exercer
une justice neutre et impartiale en toute transparence.
N'y aurait-il donc pas, derrière la justice pénale institutionnelle, un esprit de vengeance collective? La question se
pose avec d'autant plus d'acuité, à propos de la peine de mort, souvent interprétée comme effet d'une vengeance
aveugle du corps social.
1.
La justice exclut la vengeance
â–º 1.
La vengeance, croit-on, définirait la situation de l'homme, antérieurement à son entrée en société.
Mais aussi
bien, dans l'état de nature, l'homme ne connaît pas le désir de vengeance, car il lui manque ce qui en est la
condition essentielle, l'amour propre.
Conformément à la terminologie de Rousseau, il ne faut pas confondre l'amour
de soi «qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation», et l'amour propre «qui porte chaque individu à faire
plus de cas de soi,
que de tout autre» (Discours sur l'origine de l'inégalité).
L'amour propre se nourrit de la comparaison que les hommes opèrent entre eux.
Chacun en se préférant aux autres
cherche à être préféré à ces autres.
De là, naît le besoin d'être reconnu, et la possibilité de l'offense, qui fonde le
désir de vengeance.
Il ne suffit pas en effet, pour vouloir se venger, d'avoir subi un préjudice.
Il faut encore avoir le
sentiment d'être visé dans sa personne propre.
Rousseau conçoit que l'homme naturel, livré au seul sentiment de l'amour de soi, ne se sentira pas offensé de la
peine éventuelle qu'on lui infligera.
Vol ou violence, et celle-ci peut atteindre des degrés extrêmes, ils ne laisseront
aucune trace, car «l'orgueil ne se mêle pas du combat ».
Il y aura un échange de coups, et celui qui en sortira
vaincu ne souffrira que du mal qu'on lui a fait.
Il sera d'ailleurs aussi vite oublié, que le mal
pourra être réparé aisément, en poursuivant par exemple une autre proie, en remplacement de celle qui aura été
volée.
Il n'y a dans tout cela aucun mal moral.
La vengeance se nourrit du souvenir.
Or l'homme naturel vit dans l'immédiateté de l'amour de soi.
La vengeance se
prépare et se rumine.
Elle peut être d'autant plus impitoyable qu'elle se donne le temps de la réflexion.
Il n'y a rien
en elle de nécessairement aveugle.
La réponse instinctive et spontanée de la violence à la violence n'emprunte rien
à la vengeance qui est plutôt calculatrice.
Quelle est alors la finalité de la vengeance? Lorsque Edmond Dantes, qui plus tard deviendra le comte de MonteCristo, décide de se venger, il espère compenser le tort qu'il a subi, en punissant les agents de son malheur.
Mais
dans la vengeance, le châtiment ne restaure pas une situation antérieure.
Le mal commis ne peut être aboli.
Et rien
jamais n'annulera les années passées par Edmond Dantes en prison.
Aucun châtiment ne restitue ce qui a été perdu.
Mais si le châtiment ne guérit pas du mal physique, il peut apporter une consolation morale; la consolation d'avoir
puni celui qui a eu l'intention de nous nuire.
On ne désire pas tant se venger de qui nous a fait du mal, mais de qui
s'est appliqué à nous faire du mal.
Or cela demande des lumières que l'homme naturel n'a pas, ni du côté de celui qui produit le préjudice, car il ne.
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