« Tu crois savoir tout ce qui se passe dans ton âme, dès que c'est suffisamment important, parce que ta conscience te l'apprendrait alors. » Freud, Essais de psychanalyse appliquée, 1917. Commentez.
Extrait du document
«
Tu crois savoir tout ce qui se passe dans ton âme, dès que c'est suffisamment important, parce que ta
conscience te l'apprendrait alors.
Et quand tu restes sans nouvelles d'une chose qui est dans ton âme, tu
admets, avec une parfaite assurance, que cela ne s'y trouve pas.
Tu vas même jusqu'à tenir « psychique
» pour identique à « conscient », c'est-à-dire connu de toi, et cela malgré les preuves les plus évidentes
qu'il doit sans cesse se passer dans ta vie psychique bien plus de choses qu'il ne peut s'en révéler à ta
conscience.
Tu te comportes comme un monarque absolu qui se contente des informations que lui donnent
les hauts dignitaires de la cour et qui ne descend pas vers le peuple pour entendre sa voix.
Rentre en toimême profondément et apprends d'abord à te connaître, alors tu comprendras pourquoi tu vas tomber
malade, et peut-être éviteras-tu de le devenir.
C'est de cette manière que la psychanalyse voudrait instruire le moi.
Mais les deux clartés qu'elle nous
apporte : savoir, que la vie instinctive de la sexualité ne saurait être complètement domptée en nous et
que les processus psychiques sont en eux-mêmes inconscients, et ne deviennent accessibles et
subordonnés au moi que par une perception incomplète et incertaine, équivalent à affirmer que le moi
n'est pas maître dans sa propre maison.
Freud va être amené à concevoir que bon nombre de maladies, mais aussi d'actes quotidiens s'expliquent si l'on
admet l'hypothèse de l'inconscient.
Il y aurait en nous u « réservoir » de forces et de désirs (ou pulsions) dont nous
n'aurions pas conscience, mais qui agiraient sur nous..
Pour le dire brutalement, en ce sens, l'homme n'agirait pas
(ne choisirait pas ses actes e toute connaissance de cause, dans la clarté), mais serait agi (c'est-à-dire subirait,
malgré lui, des forces le contraignant à agir) : il ne serait pas « maître dans sa propre maison », il ne serait pas
maître de lui.
Empruntons à Freud un exemple simple.
Un président de séance, à l'ouverture dit « Je déclare la séance fermée » au
lieu de dire « Je déclare la séance ouverte ».
Personne ne peut se méprendre sur ses sentiments ; il préférerait ne
pas être là.
Mais ce désir (ne pas assister au colloque) ne peut s'exprimer directement, car il heurterait la politesse,
les obligations sociales, professionnelles, morales du sujet.
Notre président subit donc deux forces contraires : l'une
parfaitement en accord avec les obligations conscientes, l'autre qui ne l'est pas et qui ne peut s'exprimer
directement, ouvertement.
Il y a donc conflit, au sein du même homme, entre un désir conscient, conforme aux
normes morales et un autre désir plus « gênant ».
Or, dans notre exemple, ce second désir, malgré la volonté de
politesse du président, parvient à s'exprimer, mais de façon détournée, anodine : on dira que « sa langue a fourché
».
Ici, l'exemple est simple dans la mesure où le président a sans doute parfaitement conscience qu'il ne veut pas être
là.
Mais dans bon nombre de cas, quand ma langue fourche, je ne sais pas pourquoi, c'est-à-dire que j'ignore moimême ce qui me pousse à dire tel mot plutôt qu'un autre.
Or pour Freud le cas est exactement identique et
s'interprète de même, comme le conflit entre deux désirs dont l'un est gênant et peut être ignoré par le sujet.
Il n'y
a pas d'actes innocents ou anodins.
Tous sont révélateurs d'un affrontement en moi de deux forces.
L'hypothèse Freudienne de l'inconscient revient à dire que bon nombre d'actes « normaux » (oubli, actes manqués,
rêves), mais aussi « maladifs », pathologiques (névroses, psychoses, obsessions) s'expliquent en gros selon le même
schéma.
L'individu subirait un conflit psychique (dans son âme), conflit parfois extrêmement violent entre les normes
conscientes (morales, esthétiques, sociales) et des désirs qui bousculent et négligent ces règles.
Ce second groupe
de désirs, le sujet les trouverait, s'il en avait conscience, tellement monstrueux, qu'ils ne peuvent parvenir à la
conscience que sous une forme voilée, déformée, indirecte : le lapsus, le rêve, ou le symptôme maladif.
Le symptôme est donc un compromis entre le désir inconscient et inavouable que je subis, et les normes
conscientes et morales que j'accepte.
« Le moi n'est pas maître dans sa propre maison » signifie que je n'ai pas
conscience et que je ne maîtrise pas, ne contrôle pas une bonne part de ce qui se passe en moi-même, ce conflit,
ce symptôme.
L'hypothèse de l'inconscient est donc qu'une bonne partie de ce qui se passe en moi (dans mon âme, ma psyché) ne
m'est pas connu, m'échappe, et cependant influe sur moi.
C'est ainsi qu'il faut comprendre notre passage : la
psychanalyse se propose de « montrer au moi qu'il n'est seulement pas maître dans sa propre maison, qu'il en est
réduit à se contenter de renseignements vagues et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience,
dans sa vie psychique ».
La plupart des choses qui se passent dans l'âme échappent à la conscience.
Pour Freud, o a surestimé le rôle de la conscience dans la vie de l'âme, et ainsi on s'est privé des moyens :
• De comprendre bon nombre de phénomènes comme les lapsus et les rêves ;
• De soigner un certain nombre de maladies, qui ne peuvent s'expliquer que par le conflit psychique qui agite le
patient.
Adopter l'hypothèse de l'inconscient permet de comprendre et de guérir, c'est un gain de sens et de pouvoir.
Le but
de la psychanalyse est alors de faire en sorte que l'individu, au lieu de subir les forces qu'il ignore et ne contrôle pas
, puisse recouvrer sa liberté.
En effet, la psychanalyse découvre que « Je est un autre » pour reprendre Rimbaud.
Il y a en moi un autre , un
ensemble de forces, un inconscient qui me pousse à agir malgré moi.
Je subis un conflit dont je n'ai pas conscience,
qui est souvent la trace d'un choc vécu durant l'enfance.
En ce sens je suis un être passif et agi, qui n'a ni le
contrôle de lui-même, ni de son passé, un être scindé.
Le but de la cure est de faire en sorte que je prenne
conscience de ce conflit, que je reprenne la maîtrise de mon histoire.
Au lieu de subir ce que je ne connais pas, je
choisirai en toute conscience.
Au lieu de la « politique de l'autruche » de l'inconscient, il y aura le choix d'un sujet
maître de lui-même.
Enfin, notre passage est important en ce que Freud y explique les résistances à la psychanalyse.
« Dans le cours.
»
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