Travailler, est-ce souffrir ?
Publié le 10/08/2023
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«
Travailler, est-ce souffrir ?
« S’il ne trouve pas vite du travail, il ne fera jamais rien de sa vie ».
Voilà ce que l’on peut
entendre, et ce que l’on entend bien trop souvent de la part de nos proches à propos du travail.
Le
travail semble plus accepté voire recommandé par le groupe social auquel on appartient.
Le travail
est un effort fourni par une personne pour réaliser quelque chose, produire un résultat qui ne pouvait
pas « exister » avant.
Ce travail peut être rémunéré, parfois non, il est effectué dans un intérêt
individuel ou collectif.
La plupart des choses n’étant pas directement issues de la nature sont fruits
de travail (agriculture, plantes domestiquées...).Le travail peut être l’action effectuée ou un statut
que l’on porte : nous avons un emploi, nous avons un travail, nous ne distinguerons pas les deux
notions car elles sont étroitement liées : quand on a un emploi, bien souvent on effectue une activité
liée à cet emploi.
Par ailleurs, on associe en général le travail à une forme de souffrance, il suffit de
demander à son entourage pour se rendre compte qu’une majorité d’entre eux n’aiment pas ou
évoquent un bon nombre de points négatifs à propos de leur activité.
La souffrance serait alors un
état négatif durable où notre corps et notre esprit sont sujets à des douleurs de causes différentes
(disputes à répétition, accès de violence avec un proche…) dont les effets peuvent également varier
(sentiments négatifs, dépression, stigmates corporels…).
La souffrance est ainsi l’état durable de
douleur tout comme le bonheur est l’état durable de plaisir.
Il apparaît alors que l’une des origines
possibles de la souffrance soit le travail.
On pourrait d’abord croire que travailler ne procure que
souffrance car nous fournissons un effort constant pour effectuer et obtenir le produit que nous
sommes supposés créer.
Cependant, il peut aussi apparaître que le travail n’est pas la cause ultime
de la souffrance, puisque le travail bien moindre certes mais présent des sociétés « primitives » ne
semble pas les rendre malheureux ou de les faire souffrir, ils se contentent du minimum et cela leur
convient.
On ne peut alors pas simplement montrer que travailler c’est souffrir.
Dans quels cas alors
faudrait-il dire que le travail est la cause de notre souffrance ? Cette souffrance aurait-elle d’autres
causes ou impliquerait-elle d’autres domaines que seulement celui du travail ? Nous verrons dans
un premier temps comment le travail peu qualifié procure de la souffrance puis nous nous
tournerons vers le travail plus qualifié.
Dans une dernière partie, nous étudierons s’il est possible de
ne pas souffrir à cause du travail et si oui, comment.
En premier lieu, la première chose à laquelle on pense lorsque le sujet de la souffrance est abordé,
c’est à la souffrance physique, l’aspect de la souffrance le plus visible par soi-même mais aussi par
autrui.
La souffrance physique est la plupart du temps causée quand la personne effectue un emploi
peu qualifié, c’est-à-dire un travail qui demande peu de compétences intellectuelles et qui va donc
demander un effort physique plus important.
Ces efforts sont de plus assez pauvres et répétitifs, par
exemple coudre des vêtements à répétition pour des firmes de prêt à porter, les gestes restent les
mêmes et ne requièrent aucune aptitude intellectuelle en particulier.
Il est alors évident de penser
que certains types de travaux vont entraîner une souffrance physique : si nous passons toutes nos
journées à porter une certaine masse, il va de soi que notre corps en pâtira.
Mais cette souffrance se
répercute sur plusieurs aspects de la personne concernée : tout d’abord, d’un point de vue
individuel, la personne est touchée directement par ce qui lui arrive et cela dès son enfance.
Son
milieu social de naissance a tendance à pencher vers un type de travail.
Il est assez commun
d’observer des personnes issues d’un milieu social assez bas effectuer un travail peu qualifié parce
que leur famille et leur entourage font de même ou parce que la vision qu’ils ont de leur place dans
le monde du travail est cantonnée aux travaux physiques ne demandant que peu d’aptitudes
intellectuelles.
Dès l’enfance, l’individu est préparé à ne pas suivre d’études longues et à s’orienter
vers une activité qui mobilisera ses compétences physiques.
Bien sûr, un nombre important de
personnes acquièrent leur premières expériences concernant le travail en cumulant des emplois de
ce style car il peut être difficile de trouver un emploi « stable » dès la fin des études, soit parce que
travailler directement après avoir obtenu son diplôme n’est pas ce que l’on recherche, soit parce que
les entreprises n’acceptent pas des novices sans expérience.
Toujours est il que ce genre de travail
va amener son lot de complications sur un plus long terme : quand on commence un travail, on
montre certes des difficultés à effectuer une tâche mais cette difficulté est vite outre-passée.
Le but
de ce genre de travail est de ne pas réfléchir, ou le moins possible.
Après ce court temps
d’adaptation, on travaille machinalement.
Pour ce genre de travail, il faut aussi souligner la
dimension juridique du sujet, à savoir les lois du travail.
Ces lois sont censées protéger le travailleur
et le patron et trouver un moyen pour que les eux puissent travailler ensemble.
Ces lois ne
permettent cependant pas toujours la sécurité des travailleurs et il se pose alors quelques problèmes.
Il faut alors que le travailleur lui-même trouve des moyens de résoudre ces problèmes qui
surviennent (ces problèmes peuvent être des dangers liés à la pratique de la profession et donc la
peur ou l’hésitation de l’on ressent avant d’effectuer une tâche.
Christophe Dejours expose des mécanismes de défense employés par les personnes pour fuir cette
souffrance qu’ils pourraient éprouver dans un travail peu qualifié.
C.Dejours montre que l’homme
est capable d’inventer des manières de mieux supporter la souffrance causée par un travail.
Il
exposera par exemple la stratégie de « l’auto-accélération » où le travailleur va exécuter ses tâches à
une vitesse très importante pour engourdir son esprit : on ne peut pas aller vite et réfléchir, la pensée
ralenti la cadence du travail.
Il faut donc « arrêter de penser » pour ne se concentrer que sur ce que
l’on fait.
Il se crée alors un « vide psychique » comme le dit C.Dejours qui va se répercuter sur la
vie en dehors du travail, notamment lors de la retraite où il n’y a plus rien à faire et le travailleur se
rend compte de ce vide qui s’est créé.
Il vit alors assez mal cette période puisqu’il s’est effacé, il a
effacé la réflexion qu’il pouvait avoir, au profit de son travail.
Cette idée se retrouve aussi lorsque la
personne travaille, C.Dejours expose des symptômes liés à cette stratégie, comme la dépression ou
des maladies somatiques.
On peut donc dire que l’auto-accélération permet certes d’échapper à la
pensée du travail pénible et répétitif à effectuer mais ce faisant, son esprit perd sa place au sein
même de l’individu.
Par ailleurs, une autre stratégie consiste à faire preuve d’un excès de virilité, à nier la peur
occasionnée par une situation au travail pour ne pas se sentir en danger.
Cette stratégie est souvent
employée sur le plan collectif et tout individu qui ne fait pas de même, c’est à dire avoir une
conduite agressive voire violente, provoquer le danger et paraître le maîtriser, sera qualifié de faible
et sera exclu du groupe pour avoir mis en évidence le danger.
Cet individu fait voir aux autres la
réalité de leurs conditions dans le travail qu’ils font et il faut faire taire cette hésitation car elle
pourrait conduire à des signes de faiblesse ressentis par les autres.
Cette conduite montre la place
importante que prend la peur dans un travail ouvrier par exemple.
Un ouvrier qui travaille sur un
échafaudage peut avoir peur de la hauteur à laquelle il se situe et pour éliminer cette peur, il ne
s’attachera pas avec un baudrier, pour montrer son courage et sa virilité.
Il nie un danger en en
créant un autre, il détourne sa peur ou amplifie les risques de sa condition.
Il prouvera ainsi que s’il
a peur (ce qu’il n’avouera jamais, de peur de se faire rejeter par les autres) c’est parce qu’il n’était
pas attaché, pas qu’il était en hauteur pour travailler.
La souffrance liée à la peur constante due aux
conditions de travail est ainsi effacée aux yeux des travailleurs.
Ces méthodes ont un impact sur la vie du travailleur, en dehors de son activité, dans un aspect plus
collectif.
En effet, une absence psychique à long terme coupe les liens établis avec sa famille, on ne
peut plus réfléchir, on est fatigué de sa journée qui va deux fois plus vite et qui est deux fois plus
dangereuse et l’énergie que l’on aurait pu réserver pour faire une activité avec ses proches a déjà été
utilisée pour travailler.
On rentre de son travail, on mange....
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