Travail et propriété ?
Extrait du document
«
Travail et propriété.
D'après Karl MARX, l'économique constitue la structure essentielle des
sociétés et commande les superstructures édifiées sur ce fondement.
Si
cette thèse du célèbre théoricien du socialisme moderne est excessive,
il reste vrai néanmoins que l'organisation du travail et la répartition de la
propriété ont une importance capitale dans la vie humaine.
C'est
pourquoi il ne sera pas inutile, en ces jours où se prépare un monde
nouveau, de préciser les notions de travail et de propriété, de
déterminer leurs fonctions et d'établir quels doivent être leurs rapports.
***
Tout le monde a vu chez le maréchal ferrant le bâti, appelé travail,
destiné à immobiliser les boeufs ou les chevaux pour les ferrer ou pour
leur faire subir une opération chirurgicale.
Nous avons là le sens premier
du mot travail et une précieuse indication de sa signification essentielle :
« travail » évoque l'idée d'un assujettissement forcé, pénible ou même
douloureux.
De nos jours, sans doute, par suite de l'utilisation des forces cosmiques
dans la production industrielle, le travail 'est devenu beaucoup moins
pénible; néanmoins dans certaines professions.
et en particulier dans la
plus importante de toutes, la profession agricole, il demande une grande
dépense d'énergie physique; dans la plupart, il est assujettissant, rivant
le travailleur à sa tâche et le faisant esclave de la machine et des règlements de la fabrique ou bien du temps
et des saisons.
Si, comme on doit le souhaiter, le travailleur parvient à prendre goût à son ouvrage, ce n'est pas par plaisir
qu'il se rend à son travail, mais par nécessité ou par devoir..
Il doit assurer sa subsistance et celle du groupe
qu'il considère comme un prolongement de lui-même, sa famille; il est chargé d'un service de la bonne marche
duquel il est responsable.
Du jour où travailler ne sera pas pour lui une obligation, on ne le verra guère
reprendre sa besogne et, s'il la continue, ce sera avec la fantaisie du jeu, sans préoccupation des résultats du
travail.
Il ne faut sans doute pas rayer du nombre des travailleurs les employés, ingénieurs et directeurs, qui n'ont
guère à fournir d'effort musculaire pénible et auxquels leur charge laisse souvent une grande liberté : toute
activité collaborant à la production d'un résultat utile constitue un travail.
Bien plus, si on juge du travail
d'après son rendement, l'ingénieur qui conçoit une machine nouvelle permettant de doubler la production est le
plus grand travailleur de son usine.
Mais le mot « travail » reste intimement affecté de sa signification
primitive; aussi, par « travailleurs », c'est principalement les ouvriers que l'on désigne.
Le travail suppose des outils et une matière à travailler : c'est dire qu'il n'y a pas de travail sans propriété.
On
entend par propriété : au sens abstrait, le droit exclusif de tirer d'une chose toute l'utilité qu'elle comporte; au
sens concret, la chose même sur laquelle on a des droits.
Le fermier n'a pas la propriété (au sens abstrait) de
la propriété (au sens concret) qu'il exploite.
Les biens qui font l'objet du droit de propriété sont de deux sortes : les biens de consommation, qui, comme le
mot le dit, sont destinés à la satisfaction immédiate d'un besoin de l'homme, par exemple, les aliments, les
chaussures; les biens de production, par exemple, des champs, des machines, qui servent à obtenir des biens
de consommation.
C'est cette seconde sorte de biens qui constituent une propriété au sens usuel du mot.
Si
l'ouvrier a la propriété du déjeuner qu'il emporte dans sa musette, on n'appellera pas ce déjeuner une propriété.
Une remarque analogue peut être faite à propos du mot capital, qui désigne les biens destinés à la production
d'autres biens.
Théoriquement, il faudrait considérer comme un capital un lopin de terre, une machine à écrire,
une hache, et comme capitalistes le pauvre paysan, la dactylo et l'ouvrier bûcheron qui les possèdent.
Mais
dans l'usage courant on n'appelle capitaliste que le propriétaire qui, pour exploiter ses biens de production, fait
appel au travail des autres.
On peut donc distinguer deux sortes de propriétés : la propriété capitaliste, dans laquelle le travail n'est pas
assuré par le propriétaire; la propriété qui pourrait être appelée propriété ouvrière, dans laquelle c'est le
propriétaire qui exploite son propre bien.
Dans la première catégorie, rentrent les grandes entreprises montées
par actions; dans la seconde, les petites entreprises familiales, comme la grande majorité des fermes
françaises et les ateliers artisanaux.
***
Cette distinction amène à l'esprit une question débattue depuis longtemps : quel est la meilleure organisation
du travail et le meilleur régime de propriété ? Mais, avant de nous engager dans ce délicat problème, il sera bon
de nous demander quelles sont les fonctions essentielles du travail et de la propriété.
L'individualisme régnant depuis près de deux siècles a répandu une conception individualiste du travail et de la
propriété : on travaille et on est propriétaire pour soi.
De nos jours, une réaction puissante et rapide complète
cette conception étroite : si le travail et la propriété ont une fonction individuelle, ils ont aussi une fonction.
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