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Toute vie en société implique-t-elle un sacrifice de l'individu ?

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« Introduction Faut-il affirmer que la vie sociale exige nécessairement l'effacement de l'individualité propre de chacun ? Le rapport entre la société et l'individu est-il fait uniquement de contrainte négative à l'égard des individus, voire de norme socialisatrice qui aboutirait à niveler les individus entre eux pour ne garder qu'un dénominateur commun, permettant la vie en société ? Si la société est l'ensemble des institutions qui relient les individus entre eux, cet élément commun peut-il se fonder sur les différences individuelles plutôt que de simplement les réprimer ? Première partie : La société semble s'opposer à l'individu A/ Le contrat social exige de limiter la liberté de chaque individu au profit du tout Les exigences de la vie en société conduisent à limiter le droit de chaque individu, et ceci au bénéfice de tous.

Le contrat social, instituant la société, exige en effet que chacun abandonne son droit naturel à se gouverner et à se préserver, par tous les moyens, y compris la force, au profit d'une tierce personne, le souverain : « j'autorise cet homme ou cet assemblée d'hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière.

» (Hobbes, Léviathan, chap. 17, « Définition de l'Etat ») Dépositaire de la puissance souveraine, l'Etat limite donc les libertés individuelles, pouvant même exiger le sacrifice effectif de la partie (l'individu) au tout : c'est le cas des guerres où les individus engagent leur vie au service de la société.

Le souverain a donc droit de vie ou de mort sur les sujets, et peut donc exiger le sacrifice de l'individu s'il en va de la survie du tout (Léviathan, chap.

21, « De la liberté des sujets »). La société exige donc de limiter les aspirations individuelles et les libertés individuelles au nom de la préservation du tout.

Il y a ainsi un antagonisme irréductible entre le tout et la partie, au sens où le souverain peut exiger le sacrifice de la partie, tandis que l'individu a le droit naturel de se défendre et possède donc la « liberté de désobéir » (Léviathan, XXI).

Cette liberté n'est pas nécessairement un droit : elle ne l'est que si le souverain outrepasse le droit naturel, c'est-à-dire s'il m'ordonne de me tuer ; mais s'il ordonne de me mettre à mort, comme dans le cas d'un criminel, je n'ai pas le droit de désobéir, mais je peux tenter de le faire : « En effet, en l'autorisant à me tuer [de par le contrat social], je ne suis pas tenu de me tuer quand il me l'ordonne » (ibid.) B/ Plus encore, la vie en société implique une grégarisation des individus et donc leur uniformisation Outre les contraintes légales issues du contrat social passées par chaque individu avec tous les autres, qui institue le souverain, la vie en société implique une dimension uniformisatrice que Nietzsche stigmatisait sous le nom de « grégarisation ».

Ainsi, la « morale des esclaves » impliquerait de rabaisser les individualités au profit d'un dénominateur commun : la société s'établit ainsi sur le plus petit dénominateur commun à chacun, conduisant à écarter les fortes individualités en tant qu'anomalies déviantes, voire comme monstruosités (cf.

Nietzsche, La généalogie de la morale, 2e dissertation, §2 : « Voilà donc la longue histoire des origines de la responsabilité.

La tâche d'élever un animal qui puisse promettre, suppose (…) qu'une autre tâche a été accomplie au préalable, celle de rendre l'homme jusqu'à un certain point uniforme, égal parmi les égaux, régulier, et par conséquent calculable (…) la moralité des mœurs et la camisole de force sociale ont rendu l'homme vraiment calculable.

Mais si nous nous plaçons à la fin de ce très long processus (…) nous trouvons le fruit le plus mûr de l'arbre, l'individu souverain (…) qui s'est affranchi de la moralité des mœurs » ; voir aussi §11 et 13 de la 1e dissertation de la Généalogie de la morale). Le fait que l'Etat veuille se présenter comme la manifestation de la souveraineté populaire n'est pas suffisant pour en assurer la légitimité : il y a toujours un écart entre le discours et les faits, entre les projets et leurs réalisations.

Nietzsche se livre ici à une critique de l'Etat sous forme métaphorique en insistant sur sa monstruosité et sa froideur et, à cet égard, il pressent les dérives totalitaires que le XXème siècle à pu connaître aussi bien dans le système soviétique que dans le fascisme ou le nazisme par exemple.

Dans les deux cas, c'est au nom du peuple que l'on assiste à la corruption de la politique qui se compromet avec le mal.

"Ein Reich, ein Volk, ein Führer" disaient les Nazis : un Etat, un peuple, un chef, comme si ces trois entités étaient effectivement confondues.

Les communistes visaient à établir la "dictature du prolétariat" en U.R.S.S., et le résultat de ces deux idéologies se réclamant de la volonté populaire a donné lieu aux plus grandes tragédies de notre histoire.

L'Etat peut donc à tout moment être instrumentalisé pour être mis au service du totalitarisme, et la perversion est d'autant plus efficace qu'elle passe pour l'expression de la volonté populaire.

Il ne faut donc pas perdre de vue le fait que l'Etat n'est pas le peuple et rester vigilant face à la tentation de confondre un parti, une idéologie ou un système, avec le bien commun dont il serait comme l'expression nécessaire.

A ce titre,. »

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