Toute vérité doit-elle être prouvée?
Extrait du document
«
[I.
La preuve comme critère de vérité]
« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée; car chacun pense en
être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en
toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont.
En quoi
il n'est pas vraisemblable que tous se trompent: mais plutôt cela témoigne
que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est
proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale
en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de
ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce
que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas
les mêmes choses.
Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal
est de l'appliquer bien.
Les plus grandes âmes sont capables des plus grands
vices aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que
fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le
droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent.
»
DESCARTES.
C'est par cet énoncé fracassant que Descartes ouvre le « Discours de la
méthode, pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences
».
Ce texte est le premier livre de philosophie en langue vulgaire, cad en français.
Ecrire en français un ouvrage de
philosophie et de science, que « même les femmes pourraient comprendre », manifeste une volonté de
démocratisation du savoir ; c'est vouloir que le plus grand nombre de lecteurs possible soit touché par la véritable
révolution qu'il prépare.
Nous oublions souvent que le « Discours » n'est qu'une petite préface à trois gros essais scientifiques qui
intéressaient les contemporains beaucoup plus que le « Discours ».
Cet ouvrage paraît en 1637, à peine quatre ans après le procès de Galilée.
Galilée fut traduit devant un tribunal de
l'Inquisition pour avoir confirmé l'hypothèse de Copernic selon laquelle « ce n'est pas le Soleil qui tourne autour de la
Terre, mais la Terre qui tourne autour du Soleil, et sur elle-même ».
Or, cette révolution scientifique, qui signe une révolution dans la façon de voir le monde et d'y définir la place de
l'homme.
Descartes en est partie prenante.
Il pratique la physique comme Galilée et aboutit à des thèses aussi «
dangereuses ».
Les résultats scientifiques et philosophiques auxquels il est parvenu, Descartes veut les livrer au
public, en français.
Le « bon sens » est synonyme de « raison », cela veut dire que «la raison est naturellement égale en tout homme »,
que chacun possède « la puissance de bien juger et de distinguer le vrai d'avec le faux ».
Car cela signifie, après
tout, que si ma mémoire ou mon imagination sont moins étendues que celles de Descartes ou d'Einstein, ils n'ont pas
plus de raison que moi !
Cependant, un lecteur scrupuleux du « Discours » est assez vite désarçonné par la justification que Descartes
donne de sa thèse : la preuve que la raison est égale en tout homme, c'est que si l'on désire être plus riche, ou
avoir plus de mémoire, personne ne désire avoir plus de raison.
C'est notre orgueil qui fournit la preuve.
En fait, ce qui intéresse Descartes, n'est pas cette égalité de la raison.
Ce thème est déjà à l'époque un lieu
commun.
Ce n'est pas avec cette thèse que commence le cartésianisme, mais avec le problème suivant : « La
diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres » ; ou encore, si la
raison est égale en chacun, comment se fait-il que « autant de têtes autant d'avis », que certains se trompent et
d'autres pas ? La vraie question est là, la véritable thèse de Descartes suit : « Ce n'est pas assez d'avoir l'esprit
bon, mais le principal est de l'appliquer bien.
»
L'essentiel réside donc dans la méthode.
« Méthode » est un mot qui vient du grec et qui signifie à l'origine « chemin
» : c'est la voie qu'on emprunte pour mener sa pensée, pour ne pas s'égarer.
Si tous les hommes ont une raison
égale, savent également marcher, il semble clair à Descartes que certains s'égarent, se perdent, dissipent leurs
forces.
Il y a une sorte d'obsession cartésienne à ne pas se perdre.
Pour un savant ou un philosophe qui, comme lui,
sort des sentiers battus et balisés de la tradition, rien ne saurait être plus important que de ne pas s'égarer dans les
terres inconnues à découvrir.
Aussi trouve-t-on chez Descartes une magnifique définition de la méthode :
« Par méthode, j'entends des règles certaines et faciles, grâce auxquelles tous ceux qui les observent exactement
ne supposeront jamais vrai ce qui est faux, et parviendront sans se fatiguer en efforts inutiles, mais en accroissant
progressivement leur science, à la connaissance vraie de tout ce qu'ils peuvent atteindre.
»
« Règles pour la direction de l'esprit » (IV).
La méthode garantit donc :.
»
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