Tout est-il matériel ?
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Introduction
Comment trouver la matière si elle est présente partout ? La question n'est paradoxale qu'en apparence : si tout est
matériel, la définition même de la matière est compromise s'il n'y a plus rien qui échappe à la matière pour la définir de
l'extérieur.
Telle est l'aporie qui menace le matérialisme : s'il est vrai, et si tout est matière, ce sera au prix d'une définition
claire de la matière.
Mais avant que ce ricochet logique doive être envisagé, c'est d'abord bien sûr le dialogue du
matérialisme et du spiritualisme que ce sujet met en jeu : toute réalité est-elle réductible à une matière, ou bien des
phénomènes relèvent-ils du seul ordre spirituel ?
I.
Tout est matériel : la thèse du matérialisme.
Le matérialisme postule que rien n'est immatériel, ou que tout ce qui est immatériel se ramène en dernière analyse à ce
qui est matériel.
C'est là affirmer que tout est matière, et que l'existence même d'un être immatériel est illusoire et
mythique.
Épicure: Vide, atomes et agrégats
1.
Un système matérialiste
Pour Épicure, rien ne naît de rien, si bien que tout ce qui commence à exister n'est
pas créé, ne surgit pas du néant, mais provient d'assemblages d'atomes, infinis en
nombre, inaltérables et indivisibles.
Ce qui existe de tout temps, ce sont ces corps
premiers, auxquels Épicure attribue une forme, une grandeur et un poids, et qui
sont animés d'un mouvement perpétuel dans le vide (Lettre à Hérodote).
C'est à
partir d'eux que se forment tous les corps dont nous faisons l'expérience.
2.
Le clinamen et la composition des corps
Si le mouvement des atomes était toujours nécessairement le même selon une
chute rectiligne et verticale, ils ne se rencontreraient pas et ne pourraient pas
s'agréger les uns aux autres.
Sous le nom de clinamen, Épicure désigne donc une
liberté dans le mouvement des atomes, une déclinaison de leurs mouvements par
lesquels ils entrent en contact en des temps et des lieux déterminés pour former
des corps.
Le matérialisme d'Épicure suppose la liberté.
Il en va de même pour
l'homme : ce dernier est libre de penser ce qu'il veut parce qu'il est doté du pouvoir
de choisir parmi les simulacres.
Les simulacres, qui sont vus et pensés par l'homme, sont les petites parties des
corps qui se détachent lorsque les atomes en mouvement dans les agrégats s'entrechoquent.
2.
Il y a un ordre spirituel de réalité, irréductible à la seule matière.
Dès Aristote, un principe finaliste du vivant vient
conjurer les perspectives nées de l'atomisme mécaniste, comme pour sauver le monde du déterminisme mécaniste des
matérialistes.
Le spiritualisme affirme ainsi, sous diverses formes, l'irréductibilité de l'être à ses seules lois matérielles.
Il y a dans les êtres vivants un principe immatériel de cohésion et de mouvement : l'âme.
«Il appartient au naturaliste de parler de l'âme et d'en avoir la science, sinon de toute l'âme, du moins de ce qui fait de
l'animal ce qu'il est.» Aristote, Des parties des animaux (Ive siècle av.
J.-C.).
• Pour Aristote, ce qui fait la spécificité des êtres vivants par rapport à la matière inerte, c'est ce principe qu'il appelle l'âme
et qui assure la cohésion de ses parties et son mouvement.
Ce principe permet de distinguer le vivant du mort: mourir,
c'est perdre son âme, et laisser sa matière se dissoudre.
• Il ne faut pas concevoir ici l'âme de manière religieuse, mais comme un concept scientifique (qui ressemble à ce que l'on
appelle aujourd'hui le «programme génétique»), qui permet à Aristote de penser le vivant et d'en penser les différentes
formes: aux végétaux l'âme végétative (principe de croissance); les animaux y ajoutent l'âme sensitive (sensation et
mouvement); l'homme y ajoute l'âme intellective (facultés intellectuelles).
• Connaître le vivant, c'est donc connaître, dans chaque être, son âme, sa «cause finale» (son telos), son principe
organisateur.
3.
Tout est matériel, mais la notion de matière en devient introuvable : le matérialisme de la physique contemporaine
repose en effet sur l'élimination de représentations parasitaires de la matière, comme celles de la forme substantielle ou
de l'objet matériel.
C'est au moment où elle trouve dans l'expérimentation la preuve que tout est matériel que cette
physique perd de vue la notion de matière, devenue évanescente et inexistante, dispersée en événements de l'énergie.
Dans le matérialisme le plus rigoureux, la matière n'existe pas..
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