Tout comprendre, est-ce tout pardonner ?
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«
VOCABULAIRE:
COMPRENDRE / EXPLIQUER : Comprendre, c'est connaître un phénomène de l'intérieur, par son sens, en
déchiffrant sa singularité.
Dans les sciences, expliquer c'est ramener la diversité des phénomènes à des causes
(leurs conditions de production) et à des lois permettant d'en faire des cas particuliers.
INTRODUCTION
On dit couramment que comprendre, c'est pardonner, et que tout comprendre, c'est tout pardonner.
Remarquons que la formule peut se prêter à deux interprétations en sens opposés.
On peut y voir aussi bien
l'exaltation du pouvoir humain de commisération envers son semblable et de la puissance de la compréhension, donc
de la raison.
Ou à l'inverse une formule ironique: il est facile de tout pardonner, si on réduit le pardon à la
compréhension! Le pardon ne présenterait plus aucune difficulté: il suffit de comprendre, et le pardon s'ensuivrait.
La formule semble donc présenter une tension interne: en même temps, la compréhension mène au pardon, et le
pardon ne se laisse pas réduire à la compréhension.
Il faudra donc vérifier en un premier temps, en quoi comprendre
un acte peut mener à le pardonner, ce que veut dire comprendre en ce sens.
Et, à partir de là, s'il n'y a que ce
qu'on ne peut pas comprendre qu'on ne puisse pas pardonner.
N'y a-t-il pas quelque chose qui serait compréhensible
et pourtant impardonnable? Y a-t-il, par exemple, de l'impardonnable en soi?
PREMIÈRE PARTIE
En quoi est-ce que comprendre peut entraîner pardonner?
Peut-on passer de la compréhension théorique d'un acte, d'une faute, à l'acte moral du pardon? Peut-on faire
dépendre le pardon de la compréhension sans renoncer au vrai sens du pardon?
Comprendre a un sens souvent proche d'expliquer: on comprend si on nous a expliqué.
Ici, expliquer, ce serait, de la
part du fautif, dire pourquoi il a fait ceci ou cela, quelles sont les circonstances qui expliquent son geste incongru ou
offensant.
Il ne s'agissait peut-être que d'un geste maladroit (casser le vase de la belle-mère), involontaire ou mal
interprété (ce n'est pas ce qu'il voulait faire), ou encore dicté par les circonstances (il ne pouvait pas faire
autrement).
Expliquer ses actes en invoquant les circonstances permet toujours de se disculper quelque peu: toute
circonstance est une circonstance atténuante.
Et comprendre les raisons de cet acte me mène toujours à les "admettre".
Qu'est-ce comprendre: c'est un peu
prendre sur soi, être-avec, pouvoir se mettre à la place de l'autre.
Comprendre quelqu'un, c'est pouvoir se mettre à
sa place, dans sa peau.
Et je pardonne donc dès lors que j'ai compris.
Compris quoi? Compris que à sa place, j'en
aurais fait autant ou j'aurais au moins été tenté de le faire.
Au fond, on ne pardonne jamais qu'à la faiblesse
humaine.
On n'est donc jamais aussi coupable qu'on peut le sembler: le fautif se dit victime des circonstances, la
vraie victime peut admettre cette défaillance.
Mais il semble alors, si on admet que "comprendre, c'est pardonner", que le pardon se résorbe dans la
compréhension: ce qui compte, c'est de comprendre, le pardon vient de lui-même.
Le pardon y est comme un geste
secondaire, une conséquence, quelque chose de machinal ou de mécanique.
Une fois qu'on a compris, on pardonne,
mais comme sans y prendre garde.
Dire que comprendre, c'est pardonner, c'est confondre excuser et pardonner.
En fait, le pardon qui est issu de la compréhension n'est pas réellement du pardon, mais de l'excuse.
En effet, qu'est-ce que excuser? C'est un acte social.
Présenter ses excuses à quelqu'un qu'on a offensé, c'est faire
preuve de savoir-vivre, de sociabilité.
Présenter des excuses, c'est déjà montrer qu'on a conscience d'avoir fauté
contre les conventions, qu'il faut présenter des excuses pour ne pas passer pour un goujat.
Et si la victime refuse
des excuses présentées de si bonne grâce, c'est elle qui passera pour manquer de savoir-vivre, qui pêchera contre
les règles de la bonne société.
Par exemple, présenter des excuses à quelqu'un qu'on a bousculé dans une cohue, c'est essayer de ramener
l'offense à ses plus justes proportions, minimiser la faute.
"Je n'ai fait que vous bousculer et vous m'en voyez
désolé.
Mais il n'y a pas de quoi en prendre ombrage: puisque je ne voulais pas vous offenser, ne vous offensez
pas."
Et accepter des excuses venant de quelqu'un, c'est accepter de minimiser: "Mais voyons, ne vous excusez pas, ce
n'est rien, il n'y a pas de mal".
Excuser quelqu'un, c'est dire qu'il n'y a rien à excuser.
Qu'il ne m'est redevable de rien
parce que je l'aurais excusé..
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