Tout choix est-il une mutilation ?
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Choisir c'est sélectionner une possibilité parmi d'autres, ou se déterminer pour un parti plutôt que l'autre.
Le choix comporte donc une
double face, d'une part ce qu'il retient, d'autre part ce qu'il exclut.
Envisager cette opération comme une mutilation, c'est penser que le
sujet qui l'effectue perd quelque chose, qu'il possédait avant.
Mais peut-on vraiment considérer que la perte de l'ensemble de possibilités
virtuelles que l'individu avait à sa disposition est une perte ? Le sujet ne se définit-il pas non pas par ce qu'il pourrait être ou avoir mais
par ce qu'il parvient effectivement à être ou à avoir ? On peut pourtant penser que les circonstances amènent souvent à faire des choix on
l'on perd ce que l'on aurait pu conserver dans d'autres circonstances.
Dans ce sens le choix serait une mutilation guidée par le réel luimême.
Mais dans ce choix j'exerce ma liberté, et cet exercice n'est pas un mutilation, mais l'expression de ce qui me constitue comme
sujet.
De plus on peut même se demander si ce n'est pas en choisissant que je me saisis libre (ici il ne s'agit plus de l'exercice d'une
liberté que j'aurais eue comme une puissance déjà constituée avant le choix, mais comme une capacité que je me découvre à même le
choix).
I.
Choisir est une mutilation mais qu'il faut accepter pour agir
Penser le choix comme une mutilation semble être une manière de dire que si l'on pouvait éviter de choisir il faudrait le faire,
pour se préserver.
Or l'homme étant une créature finie, qui n'est pas toute puissante, il ne peut se réaliser dans l'action qu'en se
déterminant pour un parti plutôt que l'autre.
Dès lors il pourrait se faire que le choix soit une mutilation nécessaire, qu'il faut accepter pour
agir.
Dans L'Ethique à Nicomaque, Aristote prend l'exemple d'un marin qui est en pleine tempête.
Les possibilités sont simples : soit il jette
la cargaison du bateau par-dessus bord pour sauver le bateau, soit le bateau coule.
Dans cet
exemple on voit que quel que soit le choix que l'on adopte on perd quelque chose (la cargaison ou la
vie).
Le choix se présente donc comme quelque chose qui entraîne nécessairement une perte, mais
l'on voit que toutes les pertes ne sont pas équivalentes.
Perdre la cargaison du bateau (donc de
l'argent), est moins grave que de perdre la vie.
Aristote appelle de tels choix, des choix mixtes, c'està-dire qui ne sont ni tout à fait libres (s'il n'y avait pas la tempête on ne jetterait pas la marchandise
par-dessus bord) ni tout à fait contraintes (on choisit quand même de préférer perdre la marchandise
que la vie).
De telles actions mixtes reflètent notre condition humaine, où les choix que nous avons à
prendre sont toujours dictés en partie par les circonstances.
De tels choix sont en un sens des
mutilations, mais des mutilations nécessaires, car si l'on n'acceptait pas de les faire on ne pourrait
s'inscrire dans la réalité.
II.
Choisir c'est exercer ma liberté et non une mutilation
Lorsque l'on présente le choix comme une mutilation nécessaire, on souligne le fait que
l'homme n'est pas tout puissant, et ne peut mener sa vie qu'en acceptant de composer avec les
circonstances extérieures, qui limitent ses possibilités de choix.
Mais on manque alors le fait qu'en
choisissant, l'homme exerce sa liberté.
La question qui se pose est alors de savoir si en choisissant
l'homme exerce vraiment sa liberté.
En effet on pourrait penser que s'il choisit de faire ceci plutôt que
cela, c'est qu'il est déterminé à le faire par certaines raisons, et qu'il n'est donc pas vraiment libre
(puisqu'il ne choisit pas les raisons qui déterminent sa liberté).
Descartes considère que c'est une
mauvaise façon de voir les choses.
Dans une lettre à Mesland, du 9 février 1645, il explique que si l'on entend par liberté le fait que la
volonté ne soit pas poussée d'un côté plutôt que l'autre par la perception du vrai ou du bien, c'est le plus bas degré de la liberté.
Mais la
liberté est aussi faculté positive de se déterminer pour l'un ou l'autre des deux contraires.
Dans ce sens choisir ce n'est pas seulement se
laisser guider de l'extérieur par des raisons qui nous dépassent, mais c'est user d'un pouvoir absolu qui est en nous.
Le choix n'est donc
plus une mutilation, mais l'exercice même de ce pouvoir absolu de nous déterminer dans nos actes.
Donc si le choix n'est pas une
mutilation, c'est que c'est moins la solution retenue qui importe que le fait même de choisir, c'est-à-dire d'exercer la liberté absolue qui
est en nous.
III.
c'est dans le choix que je découvre ma liberté, le choix n'est donc pas une mutilation
Descartes considère que le choix est le moment où nous exerçons la liberté absolue de nous
déterminer que Dieu a mise en nous.
Mais dans cette conception le choix n'est que le moment de
l'exercice d'une faculté qui préexiste au choix.
Or on peut se demander si une caractéristique
essentielle du choix n'est pas de nous renseigner sur qui l'on est vraiment, en nous mettant à
l'épreuve du réel.
Une dimension essentielle du choix serait donc justement de nous découvrir notre
moi le plus profond, dont on ignorait tout avant de le réaliser.
C'est justement ce qu'explique Bergson
dans l'Essai sur les données immédiates de la conscience.
Le choix, dit-il, ne doit pas être conçue comme
ce que choisit un sujet totalement déterminé dans son être avant de choisir.
Bien au contraire, c'est
en choisissant tel ou telle possibilité d'action que le sujet se découvre être ceci ou cela.
En effet
Bergson distingue deux moi : le moi superficiel, réglé sur les catégories de la vie quotidienne,
catégories essentiellement utiles pour les besoin de la survie, et qui ont irrigué la vie sociale, et
d'autre part le moi profond, que Bergson pense en relation avec l'intuition que nous pouvons avoir de
l'écoulement de la durée, qui forme la trame fondamentale de notre être.
Dans le choix, il est
possible de renouer avec le moi profond et de se découvrir dans son être véritable.
En ce sens le
choix n'est pas une mutilation mais ce qui permet d'accéder à son être véritable.
Conclusion
Le choix peut apparaître comme une mutilation, mais cette mutilation n'est pas
nécessairement négative.
Il faut au contraire l'accepter pour mener une vie d'homme, car l'homme
est un être fini, dont la vie est tributaire de circonstances extérieures, et il doit les accepter pour
mener une vie d'homme aux prises avec le monde.
Mais le choix c'est aussi l'exercice de notre
liberté, et en ce sens ce n'est pas une mutilation, car le choix vaut par lui-même, en tant qu'il exprime cette liberté.
Pourtant il faut aller
plus loin encore et reconnaître dans le choix non le simple exercice de notre liberté que ce par quoi nous accédons à notre être le plus
profond, à même le choix..
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