Tout amour est-il passion ?
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Demande d'échange de corrigé de L Maud ([email protected]).
Sujet déposé :
Tout amour est-il passion ?
La lecture de Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand semble nous révéler deux conceptions différentes de l'amour, et
ce pour la même personne.
En effet, Cyrano de Bergerac comme le baron Christian de Neuvillette aiment Roxane,
une belle et jeune précieuse.
D'une part, Christian, qui dit de lui-même "Je n'ai pas d'esprit [...] Je ne suis qu'un bon
soldat timide." ne semble pas faire de réels efforts pour obtenir Roxane : à aucun moment il ne cherche à changer
pour lui plaire, à progresser en mieux.
Elle, précieuse, aime la poésie.
Lui, ne cherche pas à la combler, il ne cherche
qu'à s'approprier la plus belle femme de Paris : "Je saurai parler seul! Et, de par tous les diables, Je saurai bien
toujours la prendre dans mes bras !...".
De même, dans cette même logique de l'immédiateté, il n'a de cesse, lors de
la scène pendant laquelle Cyrano fait la cour à Roxane en se faisant passer pour lui pour pallier son manque d'esprit,
de lui demander d'obtenir un baiser, ce qui n'est alors absolument pas à propos, et dénote un fort égoïsme entaché
de désir sexuel.
Cyrano, quant à lui, est plein de pudeur et d'admiration pour cette jeune femme dont il dit " Qui
connaît son sourire a connu le parfait.
Elle fait de la grâce avec rien, Elle fait tenir tout le divin dans un geste
quelconque." Néanmoins, si différents qu'ils soient, Christian et Cyrano éprouvent bien tous deux de l'amour pour
Roxane.
Christian éprouvent en effet une profonde admiration et une inclination envers Roxane, fondée en grande
partie sur son désir, son instinct sexuel.
On voit là apparaître un amour appropriateur, ancré dans un désir charnel,
et d'une grande intensité.
Tout ici fait signe vers un amour passionnel.
A l'inverse, il y a bien chez Cyrano une
reconnaissance de l'exemplarité humaine et sociale de Roxane, un retrait en sa présence qui contraste avec la
volonté appropriatrice du précédent, une maîtrise de son désir pourtant ardent.
Cet amour semble bien loin de
l'amour passionnel.
D'autre part, l'amour de Cyrano est une véritable ouverture à Roxane, comme si la présence de celle-ci le
transcendait.
De par sa beauté et sa bonté, elle lui inspire de beaux poèmes.
Au contraire, elle ne semble rien
inspirer à Christian.
Il ne sait que lui répéter désespérément "Je vous aime...".
Bien entendu, cette critique est facile
puisqu'il se qualifie lui-même de sans esprit.
Néanmoins, cela ressemble plus à une justification de sa part, car il sait
faire preuve d'esprit ou de créativité à d'autres moments de l'oeuvre.
Il n'y a aucune ouverture de la part de
Christian, qui n'a dans ces instants d'autre pensée en tête que celle d'étreindre Roxane dans ses bras.
Quoi de plus
passionnel et mortifère que la répétition (froidement mécanique), l'immédiateté, l'égoïsme...
Cette égoïsme s'oppose
complètement à la bienveillance de Cyrano, qui fait tout, il est vrai parfois à contrecoeur, pour aider Roxane, car il
l'aime trop pour ne pas vouloir la voir heureuse.
Son coeur est toujours ouvert à celle-ci, même lorsqu'elle lui dévoile
son amour pour Christian.
On pourrait bien sûr rétorquer que Cyrano est englué dans la passion au point de tout
accepter, mais le texte est limpide : au fond de lui-même, il est bien récalcitrant devant cette amour pour Christian,
et essaie de la faire douter ("Et s'il était aussi mal disant que bien coiffé",...).
Mais comprenant très rapidement la
force de l'amour que Roxane voue à ce jeune homme pourtant presque inconnu, il s'arrête, l'écoute.
Face à tant de
volonté, d'abnégation, d'accueil et de bienveillance, on comprend pourquoi Denis de Rougemont dit dans L'Amour et
l'Occident "Aimer est un acte".
Et si c'est un acte, l'amour de Cyrano ne peut donc a priori être passionnel.
Ainsi, cette oeuvre met en perspective deux modalités de l'amour: un amour passionnel, plein de désir charnel,
appropriateur et immédiat, et un amour proprement actif, empli de bienveillance, reflet d'un amour de ce qui est bon.
Pourtant, même dans cette modalité de l'amour qui nous semble non passionnelle, il y a une véritable souffrance.
Or
la souffrance est une des modalités de la passion.
Cela signifie-t-il que cet amour qui semblait aller à l'encontre de
toutes les définitions de la passion serait lui aussi passionnel?
Tout d'abord, notons que la souffrance que ressent Cyrano est essentiellement une souffrance due au fait que son
amour est impossible : il aime Roxane, elle croit aimer Christian.
Et pourtant, ce qu'elle aime chez Christian, outre
son physique, c'est son esprit, qui n'est que celui de Cyrano.
La souffrance qu'il éprouve provient donc de ce
paradoxe : son amour est actif, et l'actualisation de son bonheur via cet amour est en contradiction avec la visée
de son bonheur, qui est de connaître un bel amour réciproque entre Roxane et lui.
Ainsi, l'intensité et l'exclusivité de
son amour pour Roxane, font que la constance même de cet amour-action, que la volonté qu'il met en oeuvre dans
cet amour font de lui un être profondément mélancolique, aux sentiments exaltés, et triste:"ce sentiment qui
m'envahit, c'est vraiment de l'amour, il en a toute la fureur triste!" "Quand même tu devrais n'en savoir jamais rien,
S'il se pouvait, parfois, que de loin, j'entendisse rire un peu le bonheur né de mon sacrifice !".
Et si Roxane croit que
c'est Christian qui prononce ces mots,et non Cyrano, le double sens de ces propos nous révèle la réalité pour le
héros de cet amour impossible : le bonheur de Roxane passe par son sacrifice.
Sacrifice choisi, accepté, mais
provoquant une si grande souffrance que les actes héroïques de Cyrano, notamment lors de la guerre, s'apparentent
essentiellement à son sacrifice au sens propre : c'est bien la mort qu'il recherche.
Ainsi cet amour-action semble
paradoxalement faire signe vers la passion, une passion belle mais mortifère.
Par ailleurs, malgré cette bienveillance et cette ouverture à Roxane, l'amour de Cyrano reste entaché d'amourpropre.
En effet, grande figure de l'héroïsme romanesque, Cyrano est un personnage exubérant, il est un fier
exemple de cadet de Gascogne : parlant toujours fort sauf en amour, profondément orgueilleux, et particulièrement
susceptible.
Ce comportement, proprement passionnel, pourrait difficilement ne pas se refléter, ne serait-ce qu'un
peu, dans son amour.
C'est ainsi que c'est par amour propre qu'il refuse de déclarer son amour à Roxane, de peur.
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