Tous les hommes ont-ils les mêmes devoirs ?
Extrait du document
«
Position de la question.
La plupart des moralistes classiques ont posé le Devoir comme une loi abstraite et
universelle, s'appliquant ne varietur à tous les hommes et à toutes les situations.
Selon RENAN, au contraire, «
il n'y a pas deux hommes qui aient les mêmes devoirs ».
Qui a raison?
Universalité et détermination des valeurs.
Il ne saurait être question de nier ni le devoir en tant que règle impérative ni son universalité.
Mais les valeurs,
qui s'imposent à la conscience dans le devoir se spécifient et se déterminent selon la situation du sujet et
selon les conditions du milieu et du moment.
Les devoirs particuliers.
Il y a d'abord ainsi des devoirs particuliers qui sont déterminés par notre situation de famille (devoirs entre
époux, devoirs des parents vis-à-vis des enfants et des enfants vis-à-vis des parents), par notre profession,
nos fonctions dans la vie sociale (ce qu'on appelle les devoirs d'état), etc.
En ce sens, il y a bien, comme l'a
écrit DURKHEIM (L'Éducation morale, p.
29), quelque chose d'artificiel dans l'idée que ces devoirs particuliers
seraient « de simples aspects d'un seul et même précepte, qui serait toute leur substance et toute leur réalité
».
Bien au contraire, c'est « ce précepte général » qui fait figure d'abstraction : « ,jamais aucun code, aucune
conscience sociale n'a reconnu ni sanctionné ni l'impératif moral de KANT ni la loi de l'utile, telle que l'ont
formulée BENTHAM, MILL ou SPENCER.
Ce sont là généralités de
philosophes et hypothèses de théoriciens.
» En fait, dans la pratique, «
ce n'est pas d'après ces formules générales que nous nous dirigeons,
mais d'après les règles particulières qui visent uniquement la situation
spéciale qu'elles régissent.
Dans toutes les rencontres même
importantes de la vie, pour savoir ce que doit être notre conduite, nous
ne nous reportons pas au soi-disant principe général de la moralité, peur
chercher ensuite comment il s'applique au cas particulier.
Mais il y a des
manières d'agir, définies et spéciales, qui s'imposent à nous « .
L'expérience morale.
Ces considérations ne suffisent cependant pas à expliquer la pensée de
RENAN ni à justifier la diversité des devoirs.
Il y a même quelque
étroitesse dans la conception de DURKHEIM selon laquelle la moralité
consisterait uniquement à obéir « à des règles préétablies ».
DURKHEIM
lui-même reconnaît qu'il y a parfois des questions qui se posent pour la
conscience morale; mais « ce qu'il s'agit alors de savoir, prétend-il, c'est
quelle est la règle particulière qui s'applique à la situation donnée et
comment elle doit s'y appliquer » (Ouv.
cité, p.
26).
— Il nous semble
que c'est là faire vraiment trop bon marché de l'élément personnel et
vivant de la moralité.
Il y a, pour chacun de nous, une expérience
morale qui fait, comme le disait RAUH, qu' « un principe n'est valable pour une conscience que du jour où il se
dégage pour elle de l'action ou au contact de ceux qui agissent ».
Les règles morales ne s'appliquent pas corn.
des règles de logique pure : elles « s'éprouvent » au contact de la vie.
En ce sens, une règle n'a pas
exactement la même signification, la même portée, la même résonance spirituelle pour toutes les consciences ;
elle se nuance différemment selon les expériences faites, les obstacles rencontrés, les combats que nous
avons eu à mener.
Ce serait méconnaître l'élément le plus profond de la vie morale que de fermer les yeux sur
ce facteur personnel.
Conclusion.
L'universalité du devoir n'empêche pas celui-ci de se diversifier à la fois selon les situations et
selon les consciences..
»
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