Technique et sagesse ?
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«
Termes du sujet:
SAGE - SAGESSE: 1) Attitude traditionnelle du philosophe ancien qui, dans l'ordre du savoir se met à distance des
préjugés et dans l'ordre de l'action à distance ses passions.
2) Synonyme de prudence d'où, par extension, aptitude
à bien mener sa vie.
TECHNIQUE
Tout ensemble de procédés pour produire un résultat utile.
La technique moderne s'appuie sur la science; mais elle
s'en distingue puisque la science est un effort pour expliquer ce qui existe tandis que la technique cherche à
produire ce qu'on souhaite qui soit — qui n'est pas.
La technique peut se définir comme un vouloir, incarné en un
pouvoir par l'intermédiaire d'un savoir.
Comme adjectif: par opposition à esthétique, qui concerne des procédés susceptibles d'être développés et transmis,
et non des dons ou capacités innées.
Sagesse
Vertu tout à la fois théorique et pratique, dans la mesure où l'homme sage possède un savoir assuré susceptible de
le guider dans la conduite de sa vie.
Idéal d'art de vivre des philosophies antiques, que l'homme doit s'efforcer d'atteindre pour être heureux.
Nous avons vu que la philosophie n'était pas un savoir — la fonction de connaissance étant dans le monde
moderne remplie par la science — mais une réflexion critique sur le savoir.
Pas plus qu'elle n'est un savoir, la
philosophie n'est un pouvoir.
Dans le monde actuel le pouvoir de l'homme est exprimé par la technique.
L'idéal
prométhéen de conquête et de transformation du monde s'est substitué progressivement à partir de la Renaissance
à l'idéal philosophique de sagesse.
La sagesse consistait à se soumettre au monde, à accepter toutes choses, à se
résigner au malheur.
La philosophie — nous enseignant avec les stoïciens que le cours du monde est bon et divin, ou
avec Spinoza que la chaîne des causes et des effets est nécessaire, logique, inévitable, apparaissait comme
l'instrument intellectuel de cette résignation.
Le changement de perspective apparaît nettement au XVlle siècle dans
le Discours de la Méthode de Descartes.
Dans la troisième partie du Discours, Descartes pour se constituer une «
morale provisoire » se fait l'héritier de la sagesse stoïcienne.
« Il vaut mieux, écrit-il, changer ses désirs que l'ordre
du monde et se vaincre soi-même plutôt que la fortune.
» Mais dans la sixième partie du Discours il substitue à ce
cosmocentrisme de la sagesse l'humanisme de la technique qui, dit-il, rendra l'homme « maître et possesseur de la
nature », Et dans une intuition prophétique il annonce les conquêtes futures de la mécanique et de la médecine.
Au XVIIIe siècle le grand chantre de la technique est Diderot.
Il s'étonne qu'on attache parfois plus d'importance
aux philosophes dont la sagesse est l'art de se passer du bonheur qu'aux industriels dont la technique en
transformant notre existence peut effectivement nous rendre plus heureux : « On a bien plus loué les hommes
occupés à faire croire que nous étions heureux que les hommes occupés à faire que nous le fussions en effet.
Quelle
bizarrerie dans nos jugements ! Nous exigeons qu'on s'occupe utilement et nous méprisons les hommes utiles.
»
Aujourd'hui on a bien dépassé le mépris qui attristait Diderot.
L'idéal technique triomphe partout.
De même que la
science positive vidait le savoir philosophique de tout contenu, de même la puissance technique prive le pouvoir
philosophique de toute efficacité.
En fait l'exigence philosophique réapparaît pourtant sous une autre forme.
A partir
du savoir scientifique la visée philosophique se révèle comme réflexion critique sur les fondements de ce savoir.
A
partir du pouvoir technique la sagesse, au sens moderne, se présente comme une réflexion critique sur les
conditions de ce pouvoir.
C'est aujourd'hui un thème familier et angoissant que celui du technicien apprenti-sorcier.
• La technique, parce qu'elle fait passer la science aux actes, pose le problème de la finalité — voire de la moralité
de la science : l'arme nucléaire, par exemple, est-elle seulement la perversion d'un pur et innocent désir de
connaître ? ou bien, la science est-elle responsable, dès son principe, des terrifiantes applications qu'on en peut
faire ?
• Les dangers que font aujourd'hui courir à l'humanité les progrès techniques (cf.
également les manipulations
génétiques) mettent-ils en cause l'usage qu'on fait de la science ou la science elle-même ? « L'esprit humain,
déclarait Auguste Comte, doit procéder aux recherches théoriques en faisant complètement abstraction de toute
considération pratique » (Comte, Cours de philosophie positive, 1830/1842).
Mais est-il possible, et si oui, est-il
légitime de procéder de la sorte ? Quelle que soit votre réponse, la question est incontournable dans tout devoir
tournant autour de la valeur de la science.
L'effroyable péril suscité par le développement des armes nucléaires, ainsi que les dangers de « robotisation »
constitués par la mécanisation de notre existence soulignent avec éclat que la technique ne tient pas lieu de
sagesse, pas plus que la science ne tient lieu de philosophie.
« La technique, a écrit, le R.P.
Laberthonnière nous
apprend à nous servir des choses.
Mais saurons-nous nous-mêmes à quoi nous faire servir? » La technique ne donne
à l'homme que des moyens d'action.
Elle reste muette sur les fins qui doivent guider notre conduite.
Et nous avons
plus que jamais besoin d'une sagesse pour nous éclairer sur les fins qu'il nous appartient de poursuivre.
Dans le
monde actuel l'éclat de nos pouvoirs humains fait ressortir dans une lumière tragique l'ambiguïté de nos vouloirs.
Et
si la technique est une médiation nécessaire pour concilier le pouvoir et le vouloir, seule la philosophie peut nous
permettre de voir clair dans notre vouloir.
Seule la philosophie pose le problème des valeurs..
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