Sur quoi repose l'accord des esprits ?
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VOCABULAIRE:
ESPRIT: Du latin spiritus, «souffle» (qui anime la matière).
* Dans la langue religieuse (le Saint-Esprit), le souffle ou le principe divin.
* Par opposition au corps : principe individuel de la pensée,
conscience.
* Par opposition à la matière : le monde de la pensée, la réalité spirituelle.
* Chez Hegel, l'Esprit (avec une majuscule) est le principe rationnel qui gouverne le monde.
Accord: état qui résulte d'une communauté ou d'une conformité de pensées, de sentiments; c'est une entente.
Être d'accord, c'est
être du même avis, partager la même idée.
Descartes, dans le Discours de la méthode, 2e partie, montre que de même que les villes construites dans la durée, de bric et de
broc, sans plan initial, sont beaucoup moins belles que les villes conçues tout d'une pièce par un seul architecte selon un seul plan, les
thèses les plus vraies ne sont pas celles auxquelles chacun apporte un élément mais celles qui sont nées dans l'esprit d'un seul.
La
vérité et la beauté sont selon lui du côté de l'unité, et non de la diversité, fut-elle régulée par l'accord.
Un autre exemple peut se
trouver par l'art, et plus exactement dans le problème kantien de l'accord esthétique ("Analytique du beau", dans La faculté de juger,
Kant).
Le jugement de goût est un jugement qui, comme un jugement de connaissance, prétend à l'universalité ("ceci est beau" ne
signifie pas "ceci me plaît, et ne plaît éventuellement qu'à moi", mais "ceci est beau universellement, et tout le monde devrait juger
ceci beau").
Mais à la différence du jugement de connaissance, il ne peut apporter aucun concept, aucune raison à son affirmation
("ceci est beau, je le sais, mais je ne peux dire pourquoi").
Alors on peut se demander sur quoi repose la prétention du jugement de
goût à l'universalité ? Est-ce sur l'accord des esprits et des goûts lié à la mode d'une époque ou bien est-ce parce que le jugement
suppose qu'il existe une structure de jugement commune à tous les hommes ? L'accord esthétique est-il un effet de mode ou bien la
trace d'une identité des faculté humaines ? C'est dans le cadre du jugement de connaissance et du jugement de goût que se pose la
question de cet accord et de l'universalité.
L'accord est-il "en fait" (les gens se mettent d'accord après discussions et à la suite de
compromis) ou "en droit" (l'accord résulte d'une universalité des structures humaines) ?
INTRODUCTION
Le désaccord entre interlocuteurs est une situation fréquente, mais toute discussion vise peut-être à trouver un terrain d'entente.
Si
l'accord se fait entre des esprits, sur quoi peut-il porter? Est-ce seulement sur des principes généraux, indépendamment des moyens —
ou l'accord doit-il être plus complet, et concerner aussi bien les contenus de pensée que les fins et les moyens?
I.
Conditions d'un accord
— Rappel historique: le modèle socratique souligne qu'il n'y a d'accord possible qu'à deux conditions:
• définir un protocole du dialogue,
• s'entendre sur le sens des mots qu'on utilise.
— En effet, le vocabulaire ordinaire est généralement ambigu: il véhicule des présupposés implicites, des sens sous-entendus et
confus.
— Par ailleurs, l'accord ne peut survenir qu'au terme d'une argumentation: une position intellectuelle, un contenu de pensée peut se
substituer à une opinion s'il est démontré rationnellement que cette substitution est nécessaire, mais encore faut-il que l'interlocuteur
reconnaisse la valeur de la démonstration: l'accord est, par exemple, impossible, entre un passionné et un raisonneur.
II.
L'accord sur les vérités
— Les conditions d'un accord sont réalisées le plus rigoureusement dans les démarches scientifiques :
• tout particulièrement dans le domaine mathématique, puisque l'esprit y définit ses objets en même temps que les règles de leur
emploi,
• de façon plus générale par la rationalité scientifique, qui suppose la définition d'un vocabulaire débarrassé de toute ambiguïté, et des
règles de
formation des énoncés qui sont pratiquées par tous les membres de la communauté scientifique.
— Toutefois, il n'est jamais absolument garanti que les discours scientifiques eux-mêmes soient totalement débarrassés d'implications
passionnelles.
Lorsque ces dernières y demeurent, l'accord n'est, au mieux, qu'apparent: il masque la réalité des conflits d'intérêts.
III.
L'accord sur les valeurs
— D'un point de vue kantien, l'existence d'une loi morale dont chaque sujet est le législateur (pour lui en même temps que pour
l'ensemble de l'humanité) doit garantir un accord de tous sur la nature du Bien.
Mais:
— 1.
une vision plus brutale ou «réaliste» des situations fait valoir que ce repérage du Bien se heurte lui-même au jeu des passions
(d'où l'écart constant entre la morale kantienne et la réalité quotidienne, politique, sociale, etc.).
— 2.
La différence, chez Kant lui-même, entre l'action simplement conforme à la loi et l'action accomplie pour la loi montre qu'un
éventuel accord sur les buts à poursuivre peut être ambigu, et maintient la possibilité d'une divergence sur les moyens (exemples
historiques : toutes les grandes religions monothéistes sont d'accord pour préparer le salut des âmes, mais dans leurs pratiques, elles
se retrouvent dans des situations conflictuelles).
CONCLUSION
L'accord entre les esprits reste un pari.
Mais il n'a de chance d'être gagné que si se trouvent définies en priorité ses conditions, c'est-àdire les règles de formulation des discours, tant dans leur vocabulaire que dans leur forme logique..
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