Suis-je mon corps?
Extrait du document
«
ANALYSE DU SUJET
L'énoncé, tel qu'il est libellé, laisse entendre que les deux expressions font problème.
Ainsi il apparaît qu'une
investigation qui rechercherait laquelle des deux expressions est satisfaisante risquerait d'être illusoire.
Il vaut donc mieux chercher en quoi, pour quelle(s) raison(s) l'une peut être appréhendée comme préférable à l'autre
en ne passant pas sous silence son caractère sans doute insatisfaisant.
Il convient également de remarquer que l'on
se trouve ici dans une problématique de l'« être » et de l'« avoir », du « sujet » et de l'« objet ».
[Ma conscience est inséparable de mon corps.
On peut donc dire: «Je suis un corps».
]
Il n'y a pas de conscience sans corps
Ma conscience est intimement liée à mon corps.
Je m'en rends compte, par exemple, lorsque je pratique un
sport: ma conscience est tout entière absorbée par les mouvements que je fais, mon corps et ma conscience
ne font qu'un.
De même, lorsque j'éprouve un sentiment de plaisir ou de douleur, ma conscience évacue toute
autre pensée et se réduit à ce sentiment de plaisir ou de douleur.
Corps et conscience font un
Pour Spinoza, l'esprit et le corps ne constituent qu'une seule et même
substance, conçue une fois sous l'attribut de la pensée (l'esprit) et une
fois sous l'attribut de l'étendue (le corps).
Ce qui affecte mon corps
affecte automatiquement ma conscience (par exemple la maladie), et
vice-versa.
Je suis donc une conscience incarnée ou un corps
conscient.
Par exemple, voyons à l'oeuvre la logique passionnelle.
Si j'ai vécu mon
plus grand chagrin au printemps, cette saison sera cause de tristesse,
sans raison qui tienne au printemps lui-même.
De même, si je subis un
outrage d'un homme membre d'une communauté quelconque, je garderai
une méfiance irrationnelle envers tous les membres de cette
communauté, par simple généralisation.
Si une chose qui m'agace a une
ressemblance avec une autre que j'aime, je la haïrai et l'aimerai en
même temps : c'est le flottement de l'âme, ou ambivalence.
La conscience est un produit du corps
Pour des philosophes matérialistes comme Diderot ou Nietzsche, la
conscience est un simple épiphénomène de l'organisme.
C'est bien les
processus biologiques (ou physico-chimiques, comme diraient les
neurologues aujourd'hui) qui déterminent ce que je pense et ce que je ressens.
Ainsi, je ne suis, en réalité,
qu'un corps.
Nietzsche est l'un des premiers à avoir conduit une critique systématique et totale de la conscience ainsi que
de ses valeurs psychologiques (sous son aspect réflexif de la conscience de soi) et morales.
La conscience
est une formation dérivée, dépendante de forces beaucoup plus profondes, et ne se préoccupe que de
l'inessentiel et du futile.
Elle n'apparaît d'abord que dans le cadre du rapport entre dominants et dominés, et
répond à la faiblesse humaine du besoin de communication.
Un solitaire ou une bête de proie s'en dispensent
aisément.
La conscience est d'abord langage, et celui-ci ne répond qu'à notre besoin d'autrui et de dialogue.
On peut admettre que l'homme pense toujours, mais il est néanmoins rarement conscient : il n'a à l'être que
dans le cadre étroit et inessentiel de la communication de ses propres pensées.
Il n'y a donc pas lieu de
diviniser la conscience, issue d'une faiblesse du Moi incapable de supporter sa solitude.
Issue de la promiscuité
et de l'instinct grégaire, elle est bête, plate, vulgaire, capable de n'exprimer que des généralités, marque du
troupeau.
Le Moi individuel, au contraire, se définit et se saisit par des forces beaucoup plus intimes, profondes, riches
et fécondes qui échappent à cette conscience qui n'est que faiblesse pour autrui.
Le véritable Soi est muet,
profond, grave et silencieux.
Son essence est la force vitale, la volonté de puissance, venue d'un fond obscur
et chaotique, aux antipodes de la clarté futile de notre conscience.
Celle-ci ne serait que la surface, précaire
dans son immobilité et son repos, d'un fond abyssal inconnu qui en serait la vérité.
Pur produit social et moral
du "tu dois", la conscience est une aliénation et une servitude, l'erreur de chacun sur soi..
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