Suis-je libre si je ne peux réaliser mes désirs ?
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«
Suis je libre si je ne peux réaliser mes désirs?
Ce sujet interroge notre conception de la liberté.
Si nous ne la voyons que comme indépendance de notre pensée, nous
dirons que le désir est inutile à la liberté, et qu'il l'entrave en nous influençant.
Mais si la liberté est pour nous davantage
un mouvement vers un bien, qu'une absence de détermination, il nous faut reconsidérer le rapport entre raison et désirs,
et envisager leur coopération.
1) Non, la liberté ne peut consister qu'en la réalisation mes envies.
« Il n'y a qu'un seul principe moteur : la faculté désirante.
» Aristote, De l'âme, Ive s.
av.
J.-C.
Aristote définit la liberté comme absence de contrainte, et comprend le désir comme ce qui me meut, ce qui me fait agir,
penser, vivre.
En effet, on
voit mal ce que l'on pourrait faire d'une liberté qui supposerait l'insatisfaction perpétuelle.
Une liberté qui serait seulement
la liberté de ne pas être empêché parce que je ne veux rien n'a pas de sens.
Si l'on veut donner un sens positif à l'idée
de liberté, c'est dans un mouvement, dans la recherche d'une satisfaction qu'il faut la penser.
2) Oui, la liberté est la victoire la raison sur la passion.
« Ce n'est pas par la satisfaction des désirs que s'obtient la liberté, mais par la destruction du désir.
» Épictète, Entretiens,
vers 130 apr.
J.-C.
Selon les stoïciens, et avec eux la philosophie occidentale dans sa quasi intégralité, la liberté est avant tout un
affranchissement de toute dépendance, aussi bien extérieure qu'intérieure.
La liberté suppose l'absence de passion, car
les désirs, qui nous poussent vers certains objets, certaines personnes, certaines idées, sont considérées comme
perturbant la raison et l'empêchant de choisir en toute impartialité le bien ou le vrai.
Les désirs entravent l'autonomie de la
raison, et s'ils nous
apportent une satisfaction passagère, ne reviennent finalement qu'à augmenter la souffrance dûe au manque de la chose
désirée.
Or cette souffrance est vue comme contraire au plus haut point à notre liberté.
«Quant aux désirs, pour le moment, renonces-y totalement.» Épictète, Manuel (lei siècle ap.
J.-C.).
• Pour la philosophie stoïcienne, le désir est dangereux, et il vaut mieux y renoncer.
C'est la seule voie possible pour qui
veut atteindre la sagesse qui consiste en l'«ataraxie» ou absence de trouble, obtenue par la reconnaissance rationnelle
de la nécessité qui gouverne le monde.
• D'après Épictète, il y a deux sortes de désirs: les premiers portent sur «ce qui ne dépend pas de nous»: notre corps, la
richesse, la célébrité, le pouvoir...
Désirer ces choses-là, c'est s'exposer aux plus grands malheurs puisque ce sont des
choses qui nous échappent complètement et qui sont très changeantes.
On pourrait donc désirer au moins «ce qui dépend
de nous», c'est-à-dire désirer la sagesse.
Mais celle-ci ne peut être l'objet que d'une décision et non d'un désir: celui qui se
contente de la désirer souffrira de ne pas y parvenir.
Mieux vaut donc renoncer à tous les désirs et s'efforcer d'être
purement rationnel.
• On peut remarquer toutefois qu'Épictète précise «...pour le moment».
Le sage pourra laisser libre cours à son désir de
sagesse lorsqu'il sera parvenu à celle-ci.
Mais ce «désir» aura changé de signification et se confondra avec la sagesse.
3) La raison permet de réaliser mes désirs les plus importants en m'empêchant de réaliser ceux qui sont nuisibles.
A propos de chaque désir, il faut se poser cette question : quel avantage résultera-t-il si je ne le satisfais pas ? Épicure,
Maximes.
A cette conception trop radicale de la liberté comme hégémonie de la raison et éradication obsessionnelle de tout ce qui en
nous désire, il convient de resituer la liberté, non pas comme ennemi de tout désir, ce qui reviendrait à un pur nihilisme,
mais au contraire, comme ce qui va me permettre de réaliser mes vrais désirs.
Il va de soi que se laisser aller à ce que
nous dicte chaque petit désir sans réfléchir, finira par causer notre malheur.
A l'inverse, considérer, comme le conseille
Épicure, chaque désir, en se demandant si le plus grand bien adviendra de sa satisfaction ou de sa non-satisfaction,
revient à toujours faire triompher le désir le plus profond, celui de faire le bien.
Je ne sers jamais mieux mes désirs que
lorsque ma raison se met à leur service, en me donnant le pouvoir de démasquer les désirs néfastes.
Je suis donc libre à
condition que je mette la raison au service de mon désir.Épicure constate que le plaisir, recherché par tous, est l'élément
essentiel de la vie heureuse.
Conforme à la nature humaine, il procure un critère parfait de tous les choix que nous avons
à faire.
Il réside dans la sensation qui, nous mettant en rapport avec le monde, est la règle qui nous fait choisir ou exclure.
Ce bien est inné et personnel, puisque chacun est juge de ce qui lui convient : c'est de notre propre point de vue sensible
que nous jugeons de ce qui est pour nous un plaisir ou une douleur.
Ainsi, nous ne recherchons pas les plaisirs qui
engendrent de l'ennui, et l'on peut préférer endurer certaines douleurs si elles sont le moyen d'accéder à un plus grand
plaisir.
L'épicurisme n'est pas une philosophie simpliste qui recherche le plaisir à tout prix et fuit la douleur ; elle repose sur
un principe de détermination, qui est la sensation, critère complexe d'estimation des valeurs, puisqu'il aboutit à un
paradoxe : "Nous en usons parfois avec le bien comme s'il était le mal, et avec le mal comme s'il était le bien", (Épicure)..
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