Suffit-il d'être libre pour être humain ?
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Incipit : Si c’est un homme titre Primo Lévi dans son ouvrage relatant le vie des camps. Où le “ si ” doit être entendu, non pas comme une implication hypothétique (si… alors…), ni sur le mode optatif (“ s’il se pouvait qu’il soit… ”), mais bien comme l’affirmation d’une identification, d’une identification discriminante, c’est-à-dire fondée sur un critère qui permet de reconnaître l’humanité de tel être. Oui, c’en est un ; oui, il est l’un d’entre les hommes. On répond de l’humanité d’un tel être. On le reconnaît comme individu d’une classe, celle des humains, on lui attribue un prédicat, celui de l’humanité (“ être humain ”). La liberté suffirait-elle à être le critère discriminant d’une telle reconnaissance par identification ?
Thèmes : L’importance de la formulation de l’énoncé réside dans sa forme prédicative : d’un côté, il y a le prédicat “ être libre ” ; de l’autre, celui d’ “ être humain ”. Un autre aspect de la formulation de l’énoncé qu’il importe de relever tient dans sa forme conditionnelle : être libre est-il ou non une condition suffisante à la reconnaissance de l’humanité d’un être ? De ces deux thèmes principaux qui structurent l’énoncé, il faut faire l’analyse, et ce, dans l’ordre présenté. (i) La structure de la prédication : le fonctionnement de la prédication, ainsi que l’a montré le tournant logique de la fin du 19e (Frege, Russell), repose sur la notion d’ensemble. Un prédicat est un ensemble, au sens mathématique et logique du terme, sous lequel tombe un certains nombre d’objets qui forment alors une classe. En l’occurrence, il y a le prédicat “ humanité ” sous lequel sont compris les individus (hommes) qui forment la classe des humains : ainsi, si un individu x appartient à la classe H, alors il est h. Et la copule du prédicat (“ être… ”), quoique disparaissant dans la logique formelle, doit son ambiguïté au fait de pouvoir également signifier l’identité. En conséquence de la formulation du problème de l’énoncé, la mise en relation des deux prédicats, à savoir “ être humain ” et “ être libre ”, doit se comprendre comme la question de savoir si il y a ou non identité stricte des individus tombant sous le prédicat d’humanité et ceux tombant sous le prédicat de liberté – en termes logiques, on parlerait alors d’équivalence entre les extensions des ensembles, ou individus, appartenant aux deux prédicats. (ii) La condition suffisante : faire ici appel à la notion de condition suffisante renvoie à l’emploi par l’énoncé du verbe “ suffire ”. A la suite de notre présentation du fonctionnement de la prédication en termes d’ensembles, nous pouvons maintenant réduire la question à celle de savoir si pour x (où ‘x’ est un individu quelconque) appartenir à L(iberté) est une condition suffisante pour qu’il appartienne également à H(umanité), ou plus explicitement : la liberté d’un individu suffit-elle à lui attribuer l’humanité ; et plus exactement encore, la liberté d’un individu implique-t-elle de lui attribuer l’humanité (en termes formels, L(x) → H(x), où ‘→’ signifie l’implication, le fait pour L d’être condition suffisante de H) ?
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Incipit : Si c'est un homme titre Primo Lévi dans son ouvrage relatant le vie des camps.
Où le “ si ” doit être
entendu, non pas comme une implication hypothétique (si… alors…), ni sur le mode optatif (“ s'il se pouvait qu'il
soit… ”), mais bien comme l'affirmation d'une identification, d'une identification discriminante, c'est-à-dire fondée sur
un critère qui permet de reconnaître l'humanité de tel être.
Oui, c'en est un ; oui, il est l'un d'entre les hommes.
On
répond de l'humanité d'un tel être.
On le reconnaît comme individu d'une classe, celle des humains, on lui attribue un
prédicat, celui de l'humanité (“ être humain ”).
La liberté suffirait-elle à être le critère discriminant d'une telle
reconnaissance par identification ?
Thèmes : L'importance de la formulation de l'énoncé réside dans sa forme prédicative : d'un côté, il y a le prédicat
“ être libre ” ; de l'autre, celui d' “ être humain ”.
Un autre aspect de la formulation de l'énoncé qu'il importe de
relever tient dans sa forme conditionnelle : être libre est-il ou non une condition suffisante à la reconnaissance de
l'humanité d'un être ? De ces deux thèmes principaux qui structurent l'énoncé, il faut faire l'analyse, et ce, dans
l'ordre présenté.
(i) La structure de la prédication : le fonctionnement de la prédication, ainsi que l'a montré le
tournant logique de la fin du 19e (Frege, Russell), repose sur la notion d'ensemble.
Un prédicat est un ensemble, au
sens mathématique et logique du terme, sous lequel tombe un certains nombre d'objets qui forment alors une classe.
En l'occurrence, il y a le prédicat “ humanité ” sous lequel sont compris les individus (hommes) qui forment la classe
des humains : ainsi, si un individu x appartient à la classe H, alors il est h.
Et la copule du prédicat (“ être… ”),
quoique disparaissant dans la logique formelle, doit son ambiguïté au fait de pouvoir également signifier l'identité.
En
conséquence de la formulation du problème de l'énoncé, la mise en relation des deux prédicats, à savoir “ être
humain ” et “ être libre ”, doit se comprendre comme la question de savoir si il y a ou non identité stricte des
individus tombant sous le prédicat d'humanité et ceux tombant sous le prédicat de liberté – en termes logiques, on
parlerait alors d'équivalence entre les extensions des ensembles, ou individus, appartenant aux deux prédicats.
(ii)
La condition suffisante : faire ici appel à la notion de condition suffisante renvoie à l'emploi par l'énoncé du verbe
“ suffire ”.
A la suite de notre présentation du fonctionnement de la prédication en termes d'ensembles, nous
pouvons maintenant réduire la question à celle de savoir si pour x (où ‘x' est un individu quelconque) appartenir à
L(iberté) est une condition suffisante pour qu'il appartienne également à H(umanité), ou plus explicitement : la
liberté d'un individu suffit-elle à lui attribuer l'humanité ; et plus exactement encore, la liberté d'un individu impliquet-elle de lui attribuer l'humanité (en termes formels, L(x) H(x), où ‘ ' signifie l'implication, le fait pour L d'être
condition suffisante de H) ?
Problème : Comme cela apparaît immédiatement, la présentation formelle de l'énoncé, bien qu'elle en présente
explicitement le fond du problème (à savoir l'ordre de prédication selon l'implication : la proposition “ si x est libre
alors il est un homme ” est-elle ou non vrae ?), ne saurait en constituer à elle seule l'enjeu philosophique.
Car l'enjeu
proprement philosophique, une fois la clarification logique apportée, réside dans la définition dont on va se servir
pour caractériser les prédicats, respectivement de liberté et d'humanité.
Alors le problème devient le suivant : en
quel sens de la liberté (c'est-à-dire, selon quelle définition du prédicat “ être libre ”) et en quel sens de l'humanité
(c'est-à-dire, selon quelle définition du prédicat “ être humain ”), l'attribution de la liberté à un individu suffit-elle à
l'attribution de l'humanité au même individu, ou mieux, implique-t-elle cette attribution transitive ? Nous prendrons à
cet effet deux cas exemplaires de la conception de la liberté (puisque c'est d'elle dont il s'agit de déterminer si oui
ou non elle est une prédicat suffisant à la prédication de l'humanité) dans l'histoire de la philosophie, à savoir Kant
et Spinoza.
Deux problèmes seront à garder à l'esprit : celui de la possibilité d'une liberté non-humaine (a), et celui
de la possibilité d'une humanité non-libre (b).
*
I.
La liberté comme absolu humain
Avec la morale kantienne (Critique de la raison pratique et Métaphysique des mœurs), le concept de liberté opère
un tournant que l'on pourrait qualifier d'absolutiste.
Il y a deux règnes : celui de la nature, régit par le déterminisme
causal, et celui des fins dernières, c'est-à-dire la sphère morale, où la liberté prend place.
Dans le monde naturel, il
n'y a pas de liberté.
Celle-ci ne peut, pour Kant, se concevoir et se réaliser que par le respect et l'application de
l'impératif moral (“ tu dois ”).
L'impératif moral est ici catégorique, formel, abstrait (telle est la condition de son
universalité et de sa nécessité, formulée ainsi par la prmière maxime : “ agis de telle manière que la maxime de ton
action puisse être érigée en loi universelle dela nature ”…).
Il est la condition nécessaire à l'accomplissement du bien
par le sujet.
Et c'est uniquement par son respect et en se soumettant à la loi morale de l'impératif catégorique, que
la liberté peut s'atteindre.
Etre libre consiste donc à se soumettre volontairement à la loi morale, et ce de manière
inconditionnelle et purement désintéressée.
La liberté est ici une caractérisation suffisante de l'humanité de
l'individu.
Autrement dit, en termes formels, attester de l'appartenance à la classe des individus libres suffit pour
appartenir à la classe des hommes – ceci tient au fait que tout ce qui n'est pas homme, mais appartient uniquement
au règne de la nature ne participe pas de la sphère morale.
En vertu de notre sous-problème (a), il est en outre
nécessaire de reconnaître la possibilité d'une liberté qui ne soit pas humaine, à savoir celle du divin.
De plus, et le
problème est ici de taille, l'homme agissant ne peut jamais être garanti de la pureté morale de son acte, c'est-à-dire
de n'avoir agit qu'en vertu de l'impératif moral.
Et si le problème est de taille, c'est qu'il signifie que la liberté ne
peut jamais être attestée en fait.
Autrement dit, l'homme pourrait n'être jamais absolument libre, et donc la liberté
n'être pas une condition nécessaire à la reconnaissance de l'humanité d'un individu (à moins de dire de tout individu
qu'il est inhumain, ou du moins que l'on ne pourra jamais être sûr de son humanité)..
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